Caucase : un carrefour énergétique stratégique

Comme vu dans les deux volets précédents de notre trilogie dédiée au Caucase, cette région ne manque pas de particularités. Pour terminer notre analyse, ce troisième et dernier volet sera dédié à l’étude des attraits énergétiques de la région du Caucase.

 Un espace stratégique

Du point de vue géographique

En effet, le Caucase est situé entre la mer Caspienne et la mer Noire, ce qui lui donne le contrôle de plusieurs ports, mais il est également un espace « carrefour » entre la Russie, l’Asie Centrale, l’Iran, et les limites de l’Europe (Turquie et Ukraine).

« The Caucasus and Central Asia », extraite de l’article de Bayram Balci, Islam et mondialisation en Asie Centrale et dans le Caucase post soviétiques, réseau asie.com, le 01/04/2007
« The Caucasus and Central Asia », extraite de l’article de Bayram Balci, Islam et mondialisation en Asie Centrale et dans le Caucase post soviétiques, réseau asie.com, le 01/04/2007

Du point de vue des hydrocarbures

Le Caucase est, on le voit sur la carte ci-dessus, entouré par des pays riches en hydrocarbures que sont la Fédération de Russie, le Kazakhstan, le Turkménistan, et l’Iran, sans oublier pour autant l’Azerbaïdjan, qui lui aussi détient des ressources énergétiques non négligeables.

Capacités énergétiques de l’Azerbaïdjan et des voisins du Caucase en 2013[1] :

Pétrole (en barils)

Gaz (en m3)

Charbon (en tonnes)

Réserves en milliers de millions

Production en milliers/jour

Réserves en milliers de milliards

Production en milliards

Réserves en millions

Production équivalente en million de tonnes de pétrole

Azerbaïdjan 7 877 0.9 16.2
Iran 157 3 558 33.8 166.6
Russie 93 10 788 31.3 604.8 157 010 165.1
Kazakhstan 30 1 785 1.5 18.5 33 600 58.4
Turkménistan 0.6 231 17.5 62.3
Ouzbékistan 0.6 63 1.1 55.2

Ainsi, on entrevoit mieux les raisons pour lesquelles la région du Caucase est le sujet d’autant d’attentions. L’Azerbaïdjan et ses ressources en pétrole et en gaz est l’acteur clé de la région du point de vue des hydrocarbures. Le complexe d’Azeri- Chirag- Guneshli qui est l’un des plus grands champs pétroliers au monde, et le gisement de gaz de Shah Deniz sont les deux principaux territoires pétrolifères et gaziers du pays.

Carte des gisements offshore et on shore de l’Azerbaïdjan, extraite de l’article Azerbaijan: Socar and BP may tap Azeri-Chirag-Guneshli fields for deep gas, energy-pedia.com, le 28/05/2009
Carte des gisements offshore et on shore de l’Azerbaïdjan, extraite de l’article Azerbaijan: Socar and BP may tap Azeri-Chirag-Guneshli fields for deep gas, energy-pedia.com, le 28/05/2009

Bien sûr, ses ressources ne sont pas comparables à celles de ses grands voisins. L’Iran par exemple détient 18.2% des réserves mondiales de gaz (plus que la Russie) selon les estimations du BP Statistical Review of World Energy de juin 2014.

Carte extraite du dossier Réserves de gaz dans le monde, connaissance des énergies.org
Carte extraite du dossier Réserves de gaz dans le monde, connaissance des énergies.org

L’Asie centrale peut compter sur les ressources du Kazakhstan qui est le second État post soviétique producteur de pétrole après la Russie. Il dispose de nombreux gisements exploitables pour la production de pétrole et de gaz, comme notamment le gisement de Tengiz, de Karachaganak, ou encore le champ pétrolifère offshore de Kashagan qui est le plus important gisement de pétrole au monde hors Moyen-Orient, mais qui subit de nombreux retards dans les débuts de sa production depuis 2013 suite à des fuites dans les oléoducs le reliant au continent[2].

Carte extraite de l’article Le Kazakhstan exporte vers la Russie, la Chine et l’Europe, le Monde.fr, le 07/09/2007
Carte extraite de l’article Le Kazakhstan exporte vers la Russie, la Chine et l’Europe, le Monde.fr, le 07/09/2007

Un autre grand acteur de l’Asie centrale est le Turkménistan qui possède 9.4% des réserves mondiales en gaz naturel, notamment avec le gisement situé dans la région d’Amou Daria près de Turkmenabad (frontière avec l’Ouzbékistan), mais aussi d’un gisement dans la région de Balkanabad (sur les rives de la mer Caspienne).

Carte extraite de l’article Gaz : tensions entre la Russie et le Turkménistan, d’Yves Bourdillon, les échos.fr, 14/04/2009
Carte extraite de l’article Gaz : tensions entre la Russie et le Turkménistan, d’Yves Bourdillon, les échos.fr, 14/04/2009

Enfin, n’oublions pas la Russie, qui est le deuxième plus grand pays producteur de gaz naturel, et le troisième producteur d’hydrocarbures liquides, notamment le gaz naturel liquide ou LNG à destination principalement du Japon (76% de sa production), de la Corée du Sud (20%), et de la Chine (3.5%). De plus, elle dispose de très nombreuses régions riches en gaz et en pétrole sur l’ensemble de son territoire tels que l’ouest de la Sibérie, la région de la Volga et de l’Oural, la région du cercle Arctique, la mer de Barents, l’île de Sakhaline, et enfin le Caucase Nord [3] où existent quelques petites réserves (en Tchétchénie et en Géorgie notamment, mais les réserves ont été utilisées pour l’effort de guerre russe lors de la Seconde Guerre Mondiale, et les réserves s’amenuisent depuis lors).

Régions pétrolifères en Russie et en Asie centrale
Régions pétrolifères en Russie et en Asie centrale

Du point de vue des minerais et des ressources hydrauliques

Nous venons de le voir, la région du Caucase et celle des pays voisins sont riches en pétrole et en gaz, mais n’oublions pas les minerais qui y sont présents en abondance. Des gisements de minerais sont présents au Caucase dont notamment des gisements de minerais polymétalliques, de manganèse, de cuivre, de fer, de molybdène, mais aussi des gisements de minerais non métallifères de baryte, d’argile benthonique, d’andésite, de marbre, de tuf, de granit, de ponce, de diatomite, de calcédoine, d’agathe, de perlite, d’argile réfractaire, de sel de gemme…[4]

Enfin, du point de vue des ressources et de l’énergie hydraulique, le Caucase est plutôt riche, notamment en Géorgie grâce aux bassins des fleuves Ingouri, Bzipi, Kodori, Rioni et Koura. Vient ensuite l’Azerbaïdjan avec les bassins des fleuves Koura et de l’Araxe. L’Arménie bénéficie des rivières Razdan, Vorotan et Débed. Enfin le Caucase du Nord peut compter sur les bassins des fleuves Kouban, Terek, Soulak et Samour[5].

Carte topographique du Caucase, Topographic data from the NASA Shuttle Radar Topography Mission
Carte topographique du Caucase, Topographic data from the NASA Shuttle Radar Topography Mission

Nous l’avons donc vu, la région du Caucase brille par ses nombreux atouts. Mis à part sa position géographique avantageuse, elle est convoitée pour ses ressources en combustibles fossiles conventionnels (pétrole, gaz et charbon), mais aussi pour ses minerais et ses capacités de production d’énergie hydraulique. La question de l’acheminement des hydrocarbures (pétrole et gaz) du Caucase et des pays voisins reste également un sujet brûlant, car en dépit de tous ces avantages apparents, il subsiste de nombreuses circonstances qui rendent leur transit difficilement réalisable dans cette région.

Des difficultés qui entravent les routes de l’énergie

Des difficultés géographiques

Nous l’avons dit, le paysage du Caucase est principalement montagneux (cf. carte topographique du Caucase ci-dessus). Le pays du Caucase ayant le plus de relief est l’Arménie, avec neuf dixièmes de son territoire dont l’altitude dépasse 1000 mètres et deux cinquièmes de son territoire dont l’altitude dépasse les 2000 mètres. Plus de 32 000 km2 de l’ensemble des territoires de la Transcaucasie (Géorgie, Azerbaïdjan et Arménie) ont une altitude au-dessus de 2000 mètres[6].

Ces zones montagneuses caractéristiques de la région ne sont malheureusement pas propices à l’extraction, l’exploitation et le transit d’hydrocarbures. Les coûts liés aux infrastructures du secteur énergétique ainsi qu’aux voies de communication dans la région augmentent du fait des reliefs accidentés.

Des difficultés liées aux influences étrangères et aux conflits gelés[7]

Comme développé dans les deux premiers volets de la trilogie dédiée à la région du Caucase, les influences des puissances étrangères voisines y sont très présentes (iranienne, turque, russe). De plus, les conflits régionaux anciens mais qui perdurent sur le territoire caucasien (Tchétchénie, Daghestan, Abkhazie, Ossétie du Sud, Haut-Karabagh) sont autant de réalités qui découragent les investisseurs potentiels de venir développer le secteur énergétique de la région.

Malgré les difficultés inhérentes à la région du Caucase, les hydrocarbures circulent autour et à travers de son territoire.

Une multitude de voies de transit

Des voies existantes dans le voisinage du Caucase

La Russie, acteur clé de l’espace post- soviétique dans le secteur des hydrocarbures, a développé un réseau dense de voies d’acheminement des hydrocarbures depuis son territoire à destination principalement de l’Union européenne. Parmi ces voies, on compte le Nord Stream (Russie- mer Baltique- Allemagne et une capacité de 55 milliards de m3/an), le Yamal (Russie- Biélorussie- Ukraine- Pologne), le Droujba (Russie- Ukraine- Pologne- Slovaquie- Allemagne- Autriche- Italie), le Soyouz (Russie- Ukraine- Moldavie- Roumanie- Blugarie), et le Blue Stream (Russie- mer Noire- Turquie).

En 2009, la Russie s’est lancée dans le projet South Stream qui devait relier la Russie- la mer Noire- la Bulgarie- la Serbie- la Hongrie- et l’Autriche, avec une capacité estimée d’environ 63 milliards de m3/an. Ce projet avait pour but de contourner l’Ukraine afin d’acheminer les hydrocarbures en Union européenne. Le consortium était composé du russe Gazprom (50%), de l’italien ENI (20%), de l’allemand Wintershall (15%), et du français EDF (15%). Néanmoins, le 1/12/2014, à Ankara, le président russe V. Poutine a déclaré l’abandon de ce projet.

L’Asie centrale, dispose elle aussi de trois voies principales d’acheminement des hydrocarbures au départ du Kazakhstan. Il existe ainsi le Caspian Pipeline Consortium (CPC), le Kazakhstan- China Pipeline, et le Uzen- Atyrau- Samara Pipeline (Kazakhstan- Russie).

Des voies de contournement de la Russie passant au Caucase[8]

Deux projets financés par les USA qui constituent le « double corridor énergétique » du Caucase sont actuellement en fonction et relient l’Azerbaïdjan- la Géorgie- et la Turquie. Ce sont le Bakou- Tbilissi- Ceyhan Pipeline (BTC en fonction depuis 2006) et le Bakou- Tbilissi- Erzurum (BTE en fonction depuis 2007).

A long terme, le projet BTE aurait dû être relié au projet Nabucco, projet européen, qui devait relier la Turquie- la Bulgarie- la Roumanie- la Hongrie- et l’Autriche. Nabucco a néanmoins été abandonné en juin 2013, lorsque le consortium entre le britannique BP, le français Total, le norvégien Statoil, et l’azerbaïdjanais Socar, a préféré le projet TAP ou Transadriatique qui relie la Turquie- la Grèce- l’Albanie- et l’Italie.

Le projet TANAP ou Transanatolien qui relie l’Azerbaïdjan- la Géorgie- et la Turquie et devrait fonctionner en 2019, est financé par le consortium entre le britannique BP, l’azerbaïdjanais Socar, et les turcs Botas et Tpao. Il fait partie des stratégies de contournement de la Russie.

Enfin, depuis 2014, l’Union européenne souhaite affirmer les sanctions émises à l’égard de la Russie et se lance dans une stratégie dite de diversification des approvisionnements en hydrocarbures pour réduire sa dépendance au géant russe (la Russie fournit un tiers de la consommation en gaz de l’Union européenne), de plus, la Commission européenne a communiqué en avril 2015 sur les griefs qu’elle émet à l’encontre de Gazprom pour abus de position dominante en Europe centrale et orientale[9]. Le projet TANAP prolongé du projet TAP fait donc partie de ses priorités en matière d’énergie.

Les gazoducs russes vers l’Europe
Les gazoducs russes vers l’Europe
Du gaz azéri vers l’Europe sans passer par la case « Russie » : le projet « Corridor Sud », carte extraite de l’article Gazoduc transadriatique : l’Europe doit cesser la division énergétique, de Christophe-André FRASSA, la tribune.fr, le 29/09/13
Du gaz azéri vers l’Europe sans passer par la case « Russie » : le projet « Corridor Sud », carte extraite de l’article Gazoduc transadriatique : l’Europe doit cesser la division énergétique, de Christophe-André FRASSA, la tribune.fr, le 29/09/13

Pour conclure, l’espace caucasien est riche de ses ressources énergétiques et de son emplacement stratégique. Néanmoins, il souffre de son paysage montagneux incompatible avec les infrastructures nécessaires à l’exploitation et au transit des hydrocarbures. Handicap auquel s’ajoute le fait que la région du Caucase est continuellement déchirée par des conflits gelés qui semblent ne jamais se résoudre, et plus récemment, depuis 2014 les tensions liées au conflit opposant la Russie et l’Ukraine se rajoutent aux difficultés auxquelles le Caucase doit faire face et ralentissent le développement du secteur énergétique de la zone.

Anne-Sophie Faure

—— Notes de bas de page ——

[1] Données extraites du dossier « BP Statistical Review of World Energy June 2014 »

[2] Données extraites de l’étude Kazakhstan du US. Energy Information Administration publiée le 14/01/2015

[3] Données extraites de l’étude Russia du US. Energy Information Administration publiée le 26/11/2013

[4] Données issues du dossier Les ressources hydrauliques et naturelles du Caucase et leur utilisation dans l’énergétique, l’agriculture et le thermalisme, de G. Aliev, A. Bagdassarian, F. Davitaia, E. Kabakhidze, Persee.com

[5] Données issues du dossier Les ressources hydrauliques et naturelles du Caucase et leur utilisation dans l’énergétique, l’agriculture et le thermalisme, de G. Aliev, A. Bagdassarian, F. Davitaia, E. Kabakhidze, Persee.com

[6] Données issues du dossier Les ressources hydrauliques et naturelles du Caucase et leur utilisation dans l’énergétique, l’agriculture et le thermalisme, de G. Aliev, A. Bagdassarian, F. Davitaia, E. Kabakhidze, Persee.com

[7] Volet 1 de la trilogie : Thomas Alves-Chaintreau, Caucase : De l’influence de la Perse à la stature régionale de l’Iran, La Nouvelle Chronique.com, 22 février 2015 ; et volet 2 de la trilogie : Anne-Sophie Faure, Caucase : Une mosaïque de conflits interminables ?, La Nouvelle Chronique.com, 7 mars 2015

[8] La Documentation française n° 72 La mer Noire espace stratégique, dossier p.71 Gazoducs : les tubes errants de la mer Noire, de Céline Bayou

[9] Infographie Gazprom may be abusing of its dominant position in Central and Eastern Europe, le 22/04/2015

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