2017 est une année marquée par une succession de scrutins nationaux dont les répercussions pourraient provoquer de profonds bouleversements sur la scène internationale. Pour ne citer qu’elles, l’Élection présidentielle française, les Élections générales au Royaume-Uni, les Élections fédérales en Allemagne amèneront à une nouvelle structuration des relations interétatiques en Europe. Au-delà, doit s’y ajouter la 8e élection présidentielle de la République Islamique d’Iran qui se déroulera vendredi 19 mai. Il s’agit là d’un moment inédit dans l’histoire politique iranienne puisque l’élection intervient après la signature, le 14 juillet 2015, d’un accord-cadre sur le nucléaire Iranien négocié avec les membres de P5+1 (pour rappel : États-Unis, Chine, Russie, France, Royaume-Uni, et l’Allemagne).
Symbole d’espoir pour la population iranienne (souvenons-nous des liesses de joie dans les rues de Téhéran accueillant la délégation iranienne emmenée par le Ministère des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif), le Joint Comprehensive Plan of Action, ayant pris effet le 16 janvier 2016, ne s’est pour l’heure pas encore traduit dans les faits par une amélioration substantielle du quotidien des iraniens.
Un peu plus d’une année après son entrée en vigueur, l’heure du bilan est arrivée.
L’Économie de la résistance, sujet plébiscité par le Guide suprême
Norouz, le Nouvel An perse [1], a été l’occasion pour le Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, de s’exprimer sur le mandat écoulé du Président Hassan Rohani : « Ce qui a été fait est loin des attentes de la population et du guide suprême »[2]. Ces quelques mots traduisant une réflexion critique à l’égard de l’actuel pensionnaire du pouvoir exécutif le conduira ensuite à placer cette nouvelle année sous le signe de « l’économie de résistance, de la production et de l’emploi ». Ces thèmes ne nous sont pas étrangers puisqu’ils rappellent en tous points ceux invoqués lors de la précédente élection de mai 2013. À l’époque pourtant, le contexte était bien différent, l’Iran, sortant de 8 années sous gouvernance de Mahmoud Ahmadinejad, présentait les priorités suivantes :
- s’attaquer à l’inflation (aux alentours de 43 %, avec une perte du contrôle du Rial) ;
- s’attaquer au chômage (estimé à 12%) ;
- améliorer les conditions de vie des Iraniens ;
- réduire l’impact des sanctions internationales ;
- résoudre le dossier du nucléaire.[3]
Pour autant, et quand bien même les déclarations du Guide viendraient contredire ces données exposées, les 4 années de présidence Rohani ont permis d’améliorer nombre des indicateurs économiques du pays. Ainsi, l’inflation a été réduite par 4 pour atteindre 11.9% en mars 2017, avec une baisse historique relevée en juin 2016 à 9.5 %.
L’Iran a également retrouvé une croissance soutenue de l’ordre de 4.5 % du PIB en 2016 quand elle accusait un repli de 1.9 % en 2013. Les prévisions pour 2017 tournent autour des 6 %[4]. Cela s’explique avant tout par le dégèle d’une partie des avoirs iraniens à l’étranger (la Banque centrale iranienne estime à 32 milliards de dollars le total des avoirs gelés), et par un relâchement des sanctions qui a permis aux entreprises occidentales de réinvestir massivement le territoire iranien, en dépit des nombreux obstacles juridiques, industriels et économiques que présente le pays. On peut noter les contrats signés au mois de décembre 2016 par Iran Air, la compagnie aérienne nationale, avec Airbus pour la livraison de 38 appareils A330, 46 Airbus A320 et 16 avions A350XWB, pour un contrat compris entre 10 et 20 millions d’euros[5], et Boeing pour la livraison de 80 appareils (15 modèles 777-300ER, 15 avions 777-9 et 50 Boeing 737 Max) pour une commande estimée à 16,6 milliards de dollars [6] [7]. Par ailleurs, les visites du Président Rohani en Europe (Italie et France en novembre 2015), tout comme les contacts liés par les délégations commerciales depuis 2014 commencent à porter leurs fruits. Ainsi, les constructeurs automobiles français Peugeot et Citroën, deux marques très appréciées des familles iraniennes, ont relancé la production de leurs modèles après la signature d’accords de coentreprises avec les constructeurs locaux (respectivement Iran Khodro et Saipa).
Si les perspectives sont bonnes avec des pans entiers de l’économie à explorer (industries agroalimentaire, gazière, pétrochimique, etc.), la population n’en profite pas. 12,7 % de la population active et près de 27 % des jeunes sont au chômage selon les chiffres officiels. Des données relativement élevées lorsque l’on sait que 24 % de la population (80 millions d’habitants) à moins de 15 ans. En ce sens, il n’est pas rare de rencontrer des Iraniens qui disposent de deux emplois pour obtenir un salaire décent. Le salaire moyen pour un fonctionnaire y est de 400 dollars, quand le salaire minimum est fixé à environ 280 dollars par mois. Par ailleurs, l’Iran a plafonné le salaire des dirigeants du secteur public à 6 100 dollars pour mettre fin à des pratiques qui avaient choqué l’opinion publique en juillet dernier.
Enfin, si l’émergence du secteur touristique est bien réelle avec une hausse constatée de 8,2% de visiteurs depuis l’entrée en vigueur de l’accord sur le nucléaire (ils étaient 5 millions de touriste en 2015), des améliorations doivent encore être effectuées pour permettre une ouverture définitive du pays aux capitaux étrangers. À titre d’exemple, les systèmes de cartes bancaires (Visa, MasterCard) ne sont pas compatibles avec le réseau bancaire, alors que l’émission de carte de crédit auprès de la population iranienne par les banques a été autorisée à la fin du second trimestre 2016.
Finalement, le Président Hassan Rohani, héritier d’une économie sinistrée en 2013, a cherché durant son mandat à répondre aux attentes exprimées lors de son élection en faisant de la résolution des sanctions relatives au nucléaire, une priorité. Toutefois, l’isolement continu de l’Iran au cours de ces dernières années a contraint le pouvoir exécutif à se focaliser sur les seules capacités de résistance de son économie, délaissant, de facto, les demandes sociales, environnementales et sanitaires exprimées par les iraniens.
Les enjeux d’avenir pour ce mandat
L’Iran est une société bicéphale, avec d’un côté, une image de fermeté incarnée par l’omniprésence des portraits des Pères fondateurs du régime, l’Ayatollah Khomenei, et de son successeur, Khamenei – affichages d’un autre temps, et de l’autre, une population jeune, empreinte de liberté et d’ouverture (ou de ré-ouverture) sur l’Occident, capable de se mobiliser pour leurs droits, comme en 2009, à l’occasion de la réélection supposée frauduleuse de Mahmoud Ahmadinejad. Réprimandée par les milices paramilitaires des Gardiens de la Révolution, les Bassidj, cette Révolution verte emmenée par les étudiants universitaires ne s’est pas éteinte pour autant, les jeunes iraniens trouvant de nouveaux canaux de communication pour s’exprimer librement et pacifiquement : les réseaux sociaux. Cette population ultra connectée utilisant des smartphones de dernière génération et contournant les interdictions faites par le régime grâce aux serveurs VPN (Réseau privé virtuel) est ainsi capable de se rassembler très fortement pour revendiquer des avancées sociales telles que l’égalité entre les sexes, ou la fin du port du voile en Iran. Ainsi, des mouvements sur Instagram, mettant en scène des femmes, cheveux lâchés, aux côtés de leurs compagnons aux visages voilés, ont émergé. D’autres, comparant les photos de jeunes Iraniennes dévoilées et la photo apparaissant sur leur carte d’identité, sont devenus viraux.
Ces combats pour la liberté ne sont pas isolés, bien qu’ils s’expriment avant tout dans les grandes villes que compte le pays (Téhéran, Isfahan, Shiraz, pour ne citer quelles). Ainsi, on a vu au cours des dernières années un certain nombre de rassemblements, grèves et marches silencieuses s’organiser dans l’ensemble du pays. En ce sens, le Guide suprême a fortement souligné la responsabilité de l’actuel président Hassan Rohani dans ce qu’il juge comme le résultat d’une pénétration des idées occidentale dans la population, due notamment à la ré-ouverture du pays.
Reste toutefois un fort sentiment d’inaction du gouvernement face aux demandes sociales exprimées par la population. Dernier exemple tragique en date, l’explosion survenue mercredi 3 mai dans la mine d’Azad Shahr, lieu d’extraction de charbon où se relayent 500 employés, tuant au redémarrage d’une locomotive 43 mineurs (le régime refusant de donner les chiffres officiels) et piégeant une cinquantaine d’autres pendant de nombreuses heures. Après la survenue de cet évènement tragique, le Président et candidat à sa propre succession, Hassan Rohani, s’était déplacé sur le lieu de l’accident. À son arrivée, se sont des dizaines de mineurs rescapés qui le prirent à partie, réclamant une amélioration de leurs conditions de travail, dénonçant un « manque d’équipement de sécurité, de capteurs de gaz, de ventilateurs, de canaux pour épuiser les capsules de gaz et d’oxygène », mais aussi les négligences des responsables qui, alertés des risques qu’encouraient les mineurs, avaient en retour retardé le paiement des salaires des mineurs pendant les 18 derniers mois, et fait arrêter puis licencier d’autres.
Fait marquant, le ministre de la Santé du régime iranien, Hassan Ghazizadeh, s’est récemment exprimé sur les facteurs de dépression croissante dans la population. L’absence de politique de soutien des publics les plus fragiles confrontés à la dégradation de leurs conditions de travail pour certains, d’accès au marché du travail pour d’autres, et de manière globale, aux respects de leurs droits et au durcissement des conditions de vie, se traduit de plus en plus par un exode massif vers les villes.
Corollaire à ses mouvements de migration : des risques environnementaux qui font risquer une crise sanitaire au pays. Salman Khodadadi, chef de la Commission culturelle du parlement du régime iranien intervenait il y a peu en ce sens : « la pollution atmosphérique, la pénurie d’eau et les tempêtes de poussière sont parmi les problèmes majeurs de notre pays dans les prochaines années. Nous sommes maintenant dans une situation où des problèmes écologiques se sont transformés en crise sociale et même en problème sécuritaire. » La géographie de l’Iran et son climat est très inégale, alternant entre zones désertiques arides et zones montagneuses de grand froid. [8] [9]
Précipitations/ an (moyenne) | 250 mm dont 71 % s’évaporent suite aux pluies (soit 179 mm) |
Évaporation annuelle | 2 000 mm |
Quantité d’eau produite par les précipitations/ an | 417 milliards de m3 |
Quantité d’eau évaporée suite aux précipitations/ an | 299 milliards m3 |
Provenance de l’eau | · 70% par la pluie
· 30% par la neige |
Répartition des ressources en eau renouvelables totales réelles | · Eau de surface : 71 %
· Eau souterraine : 36 % · Eau repartie entre les systèmes d’eau de surface et d’eau souterraine : 13 % |
Pour le seul cas isolé de l’eau, l’activité de l’homme à également renforcée la disparité de l’érosion et la raréfaction de l’eau disponible, en cause l’irrigation incontrôlée sur seulement 12 % du territoire (200 000 km2), à une période de l’année où 25% des précipitations peuvent être captées par les nappes phréatiques, la construction abusive de barrages et le détournement des lits de rivières pour répondre à l’augmentation de la consommation d’eau par la population (11 milliards de m3 en 2015 – en France en 2012, 5,4 milliards de m3 d’eau potable étaient prélevés).
Dès lors, les répercussions climatiques de telles pratiques ont eu pour conséquences la multiplication de catastrophe écologique. Ainsi, en avril dernier, avec des pluies diluviennes qui ont frappé les quatre villes situées dans la province de l’Azerbaïdjan-Est, avec un bilan d’une quarantaine de morts en quelques heures. Pour autant, dans cette campagne ces questions sont absentes de tout débat, soit par peu de considération face aux préoccupations de la population, soit par position électoraliste.
1636 candidats pour 6 finalistes
Avec près de 1636 candidats inscrits, dont 137 femmes, cette élection ne ressemble assurément à aucune autre ; en cause, l’environnement dans lequel elle intervient : accord sur le nucléaire, défiance de la nouvelle administration Trump à l’égard de l’Iran, lutte contre le terrorisme islamique… En choisissant 6 finalistes issues des différents courants politiques dominants en Iran, les 12 membres du Conseil des gardiens de la Constitution ont portée leurs attentions sur la religiosité des candidats et sur leurs capacité à rassurer la population, sans la diviser, avec un objectif : ne pas donner les raisons nécessaires à un nouveau soulèvement de mouvements contestataires.
Listes des candidats retenus :
- Mohammad Bagher Ghalibaf, maire de Téhéran ;
- Mostafa Hashemitaba, ancien ministre des Mines et de l’Industrie ;
- Eshaq Jahangiri, premier vice-président d’Hassan Rohani ;
- Mostafa Mirsalim, ancien ministre de la Culture et de l’Orientation islamique ;
- Ebrahim Raïssi, gardien du mausolée de l’imam Reza ;
- Hassan Rohani, le président sortant.
— Notes de bas de page —
[1] Norouz (نوروز), nouveau jour en Farsi, intervient le 21 mars de l’année
[2] Iran : Khamenei est critique de la politique économique de Rohani, L’Orient le jour, AFP, 21 mars 2017
[3] Thomas Alves-Chaintreau, Iran : pourquoi les Perses ont-il besoin de négocier avec les autorités internationales pour soulager leur économie ?, LaNouvelleChronique.com, 5 décembre 2014
[4] FMI – World Economic Outlook Database – 2016
[5] François Duclos, Iran Air: une commande ferme de 100 Airbus, Air Journal, 23 décembre 2016
[6] Ricardo Moraes, L’Iran aurait négocié ses commandes d’avions à moitié prix, Air Journal, 27 décembre 2016
[7] François Duclos, Iran Air : les premiers Boeing neufs pas avant 2018, les ATR en vue, Air Journal, 2 mai 2017
[8] Alireza Manafzadeh, La pénurie d’eau en Iran, un défi impossible à relever ?, RFI, 7 août 2015
[9] Disponibilité en eau en Iran, GreenFacts.org