Genre vidéo-ludique très présent sur PC, le jeu de stratégie historique fut un must-have pour beaucoup d’entre-nous. Des séries comme Age of Empire, Civilization ou Total War ont un grand succès. Au-delà de mécanismes de jeu, ces sagas avaient un vernis historique qui passionnait plus d’un joueur. Lancer le jeu faisait de vous un puissant Homme d’État présidant à la destinée de son peuple. Folie des grandeurs à portée de clic, nombre d’enfants des années 90 sont devenus des despotes virtuels alternant campagnes militaires dévastatrices et essors culturels assurant le rayonnement mondial de la nation jouée. Le jeu vidéo invente avec l’aide du joueur une Histoire parmi les possibles.
Après toutes ces heures passées devant des écrans à gérer le développement d’un État, tout en en assurant la sécurité et à décider des orientations politiques, vous êtes à coup sûr des experts de la gestion étatique. Abandonnez les pixels et lancez-vous dans la vie réelle : créez votre État !
Créer un État, c’est possible ?
Pour l’aspect juridique, sachez que l’édification de nouveaux États se base généralement sur la Convention de Montevideo[1] sur les droits et les devoirs des États de 1933. Les règles de base sont mentionnées dans l’article 1. Pour résumer, en théorie créer un État, c’est presque aussi simple que de lancer Civilization sur votre ordinateur : il vous faut une population, un territoire, un gouvernement. C’est tout !
Reste à savoir sur quel territoire jeter votre dévolu et pour le moment, votre jardin n’est pas éligible. Un rapide coup d’oeil sur Google Maps va vous confirmer qu’il n’y a pas beaucoup de territoires qui attendent d’être revendiqués par une puissance étatique. Aucun, en fait.
Heureusement, l’espoir est permis. Vous pouvez conquérir un pays existant (mais dans ce cas, visez plus un petit pays sans réelles forces armées[2]), l’acheter[3], attendre qu’une colonie prenne son indépendance ou qu’un État éclate.
Reste que la communauté internationale n’encourage pas la multiplication des États, craignant une «balkanisation» du monde et on peut le comprendre, tant l’accouchement d’un État se fait rarement sans mal.
De votre salon à l’ONU
Le passage de la théorie à la pratique n’est pas aussi évident. La clé de voûte de votre futur succès, c’est la reconnaissance internationale. Votre État n’existera qu’à travers les autres. Le problème, c’est que la reconnaissance d’un État n’a rien d’automatique. C’est à chaque État de se prononcer et s’il veut, il peut vous ignorer pendant des décennies.
A l’inverse, vous pouvez jouer sur les enjeux géopolitiques de vos voisins pour accélérer votre reconnaissance par quelques États. C’est ce qu’on pourrait appeler la “méthode russe” : instrumentaliser la reconnaissance de quasi-États, tels que les provinces géorgiennes de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie, pour affaiblir le pays dont ils s’émancipent.
La consécration finale pour un État naissant, c’est l’adhésion à l’ONU. Pour devenir membre, l’État doit pouvoir remplir les conditions posées par l’article 4[4] de la Charte. L’admission d’un nouveau membre s’effectue alors par un vote à la majorité des deux tiers de l’Assemblée Générale, sur recommandation du Conseil de Sécurité.
Pour des siècles et des siècles
On ne crée pas un État pour quelques semaines, mais pour des siècles. Il va falloir donner une colonne vertébrale suffisamment souple et claire à votre projet pour qu’il dure. La rédaction de votre Constitution ne devra pas se faire à la va-vite.
D’ailleurs, profitez en pour instaurer également votre propre système financier. Si vous avez besoin de conseils, n’hésitez pas à contacter vos homologues de Liberland[5].
Mettez également sur pied une capacité de défense. Il serait dommage qu’un autre ex-joueur d’Age of Empire vous envahisse…
Et rassurez-vous, la communauté internationale ne prend pas en compte la viabilité des nouveaux États dans leur reconnaissance… Mais soyons honnêtes, si votre État n’est pas viable, c’est que vous êtes proche de perdre la partie.
Pour finir, voici le classement pour 2015 :
[1] Convention de Montevideo concernant les droits et devoirs des États : critères de Montevideo
[2] Édouard Launet, Alerte au Tchernobyl bulgareVives protestations contre la réactivation de la centrale de Kozloduy, Libération.fr, 6 octobre 1995
[3] Le milliardaire Naguib Sawiris veut acheter une île pour y installer des milliers de migrants, Jeune Afrique.fr, 3 septembre 2015
[4] Charte des Nations unies, Chapitre relatif aux États membres, articles 3, 4, 5, 6
[5] Elisabeth Blanchet et Agnès Villette, Le Liberland, l’Etat qui n’existe pas et se déchire déjà, LeMonde.fr, 16 septembre 2015