Sujet d’actualité récurrent et polémique, la religion musulmane est de plus en plus sujette à diverses interrogations, quant à ses pratiques et sa possible coexistence avec les autres valeurs prônées dans les pays occidentaux.
Souvent présentée sans nuances, l’Islam semble être un mouvement réduit à l’unique représentation médiatique qu’on donne d’elle. Généralement montrée sous le prisme de la pratique, la religion musulmane est présentée comme un tout, comprenant un seul type de croyant : les musulmans(es).
Si cette religion rassemble effectivement une communauté de croyant, l’Umma, l’Islam se divise en de nombreuses branches à l’instar des deux autres « religions du Livre », le Christianisme et le Judaïsme..
L’islam est donc à la fois la religion de l’unicité et du multiple.
Chaque personne qui se réclame de cette religion témoigne, selon la profession de foi musulmane, (la chahâda), de l’unicité divine et de la mission prophétique du Prophète Muhammad.
Cependant, et contrairement aux autres religions, il n’y a ni Église, ni autorité centralisatrice chargées de représenter l’ensemble de la communauté musulmane. La seule source de centralité demeure La Mecque et l’Arabe, la langue de révélation du Coran.
Mais l’influence non arabophone s’est aussi fait ressentir dans la doctrine de l’Islam. Rappelons que cette religion s’est développée loin de l’Arabie Saoudite, aussi bien en Orient qu’en Occident.
De nos jours, le plus grand nombre de pratiquants se trouve en Indonésie, où on en dénombre 200 millions. Viennent ensuite, par ordre décroissant, le Pakistan, L’Inde, le Bangladesh, la Turquie, l’Égypte, le Nigeria, l’Iran, le Maroc, l’Algérie, l’Afghanistan, le Soudan, l’Arabie Saoudite, l’Irak, pour ne citer que les principaux. Quant à la France, selon les estimations, on compte environ 4 à 6 millions de musulmans.
Pour comprendre cette diversité de ramification de l’Islam, l’analyse de son histoire est fondamentale, et ce depuis les révélations du prophète Muhammad, et les luttes de successions pour le califat après la mort de ce dernier.
L’ère de la révélation : Au commencement de l’Islam
La tradition révèle que c’est à La Mecque que Muhammad a eu ses premières révélations et fit ses premiers prêches. Prêches qui furent mal perçus par les autorités Mecquoises, et notamment par la tribu des Quraych dont faisait partie le Prophète, connue pour être les gardiens de la Ka’aba (grande construction cuboïde qui abritaient les anciennes divinités pré-islamique).La mise en cause des divinités locales par Muhammad, qui prônait l’unicité de Dieu, était un danger pour les sources de revenus qu’apportaient les pèlerinages.
Suite aux pressions des Mecquois, Muhammad dut donc s’exiler et s’installer à Yathrib, future ville sainte de Médine. C’est ici que le prophète Muhammad créa les bases d’une nouvelle religion qui s’accompagnera d’un nouvel ordre moral, juridique et politique. Le 16 juillet 622 marque alors le début de l’ère musulmane ; l’hégire. Selon la tradition islamique, le prophète Muhammad conclut le cycle de la prophétie, après Adam, Abraham, Moise et Jésus. Il est le dernier à révéler le message de Dieu.
À Médine, Muhammad s’installe avec son groupe de partisan, signifiant ainsi le début de l’Umma. Cette communauté fut rejointe par d’autres adeptes et associa également les autres communautés juives locales, par une série d’accords appelés la Constitution de Médine. Au fur et à mesure, Muhammad mue son statut de messager à prophète de Dieu, afin d’être confirmé comme le chef de la communauté réunie autour de lui.
D’abord vu comme un chef spirituel ayant pour rôle premier d’édifier une nouvelle religion, il dût par la suite organiser sa communauté et instaurer un nouvel ordre moral. Afin de ne pas déstabiliser les membres les plus attachés aux anciens rites, de nombreuses règles tribales furent conservées et insérées dans l’angle de la révélation. Muhammad édicta ainsi des normes assurant le vivre ensemble, la cohésion et l’instauration d’un ordre dans la communauté formée à Médine. Au-delà de l’aspect religieux, le prophète Muhammad a apporté une dimension politique en unissant les tribus arabes sous sa bannière et installe un État à Médine.
Il fut également un chef de guerre ; La bataille de Badr en 624 assoit la réputation de Muhammad lorsqu’il prend la tête d’une troupe contre des mecquois, et en assure la victoire. Une révélation vient alors au Prophète pour lui signifier que Dieu a été l’artisan de la victoire et qu’il y en aura d’autres.
En janvier 630, Muhammad et ses troupes entrent sans résistance à La Mecque. La plupart des tribus viennent demander par la suite la protection du prophète. Unifiant donc les tribus autour de lui, garantissant la sécurité sur tout un territoire et instaurant un nouvel ordre moral, privilégiant la solidarité entre membres, Muhammad a permis la création d’un État dans toutes ses composantes.
A sa mort en 632, il laissa l’Umma sans instructions et révélations supplémentaires pour administrer le territoire et perpétuer l’ordre établi. Les musulmans devaient faire face à un défi nouveau : Maintenir une religion, une communauté, une politique et un territoire, sans prophète.
De la tradition orale à la compilation écrite
Dans sa genèse, l’Islam est avant tout une tradition orale. La révélation aurait commencé dans la grotte de Hira, où l’ange Gabriel serait apparu à Muhammad et lui aurait révélé le Coran.
Ainsi basée sur la transmission verbale, un travail de compilation fut mis à jour afin de ne pas perdre les messages initiaux du prophète. Une première compilation du texte coranique est réalisée après la mort de Muhammad sous le premier calife, Abu Bakr, mais c’est essentiellement sous l’ère du troisième calife ‘Uthman, qui aurait régné entre 644 et 656, qu’une véritable rédaction du Coran va être effectuée. Ce travail rédactionnel se terminera en 647, et ‘Uhtman fera parvenir des copies aux différents territoires musulmans.
Les copies actuelles du Coran semblent suivre, depuis, la prononciation établie lors du troisième Califat. La référence la plus courante du Coran est alors celle qui a été mise au point au Caire à l’Université d’Al-Azhar, en 1924.
Le Coran se divise en 30 parties nommées juz’, et en 114 sourates. Ces dernières comportent entre 3 et 286 versets. Le Coran signifie « récitation » (qur’un) ; ce fut d’abord la parole exprimée par Muhammad à ses compagnons, puis par ces derniers qui assurèrent à leur tour la transmission orale
Conflits de succession : Naissances des différents courants islamiques
L’origine de la division remonte à la mort de Muhammad. Sans testament et sans héritier, la communauté fut laissée à elle-même, notamment sur la question de la succession. C’est alors un compagnon du prophète, Abu Bakr, qui est désigné comme successeur légitime, appartenant, comme Muhammad, à la tribu des Quraych. Fatima, la fille du prophète, encore en pleine inhumation de son père, et son mari, Ali, et cousin du prophète, s’opposent à cette nomination, ce dernier s’estimant le seul successeur de Muhammad. Il est soutenu dans sa démarche par un groupe de partisan qui furent appelé la Chî’at ‘Ali (c’est-à-dire le groupe des partisans d’Ali), en d’autres termes les Chiites.
Finalement, Ali accepte la désignation d’Abu Bakr. Avant que ce dernier décède en 634, Abu Bakr désigna comme successeur un autre Quraych, Umar. Celui-ci voulu revenir au principe de désignation par élection et ce fut ‘Uthman qui fut choisi pour être le Calife, au détriment d’Ali.
‘Uthman faisant partie du clan des Banû Umayya de La Mecque, clan qui avait été l’un des plus virulents contre le prophète au début de ses prêches, se mit alors à favoriser les membres de son clan dans la répartition des tâches administratives (notamment les plus lucratives) et cette nouvelle politique fit des mécontents parmi les anciens compagnons du prophète.
En 656, des troupes venues d’Égypte marchèrent sur Médine afin d’acculer ‘Uthman. Après 40 jours de siège, ce dernier fut assassiné. Cet événement marqua la déchirure de la communauté musulmane. Ali fut proclamé Calife à Médine par ses partisans, alors que les autres le tenaient indirectement responsable de la mort d’Uthman.
De nouveaux conflits éclatent. Ali fait face à deux rivaux qui revendiquent le Califat : Talha et Zubayr, tous deux soutenus par ‘Â’icha, la veuve du prophète. Il les vainc en 656 lors de la bataille « du chameau ». S’ensuit la bataille de Siffîn qui oppose Ali à Mu’âwiya, gouverneur de Damas, en 657. Ce conflit se termine par une demande d’arbitrage régit selon le Coran qui se fait en défaveur d’Ali. Ce dernier conservera son titre de calife alors que Mu’âwiya poursuivra ses conquêtes territoriales. Ali est assassiné en 661, et Mu’âwiya prend le pouvoir et fonde la dynastie omeyyade à Damas. Cette guerre va se poursuivre sur une seconde génération avec les fils d’Ali, Hasan et Hussein. Le conflit se termine en Irak avec la défaite des chiites, lorsque Hussein est massacré avec sa famille.
Cet épisode de l’histoire musulmane est toujours célébré par les Chiites : l’Achoura.
Cette période est donc à l’origine des trois principaux courants de l’Islam. Les partisans de Mu’âwiya sont ceux qui promouvront le sunnisme : selon eux le calife doit être élu ou désigné et doit aussi faire partie de la tribu des Quraych. Le sunnisme lui-même développera quatre grandes écoles de pensée : le hanafisme, le malékisme, le chaféisme et le hanbalisme.
Quant aux partisans d’Ali, les chiites, ils estimaient que le califat devait exclusivement revenir aux descendants du prophète. Ali est considéré pour les chiites comme le premier Imam, mais cela ne les empêchera pas de se subdiviser, eux aussi, en d’autres mouvements pour des raisons de gouvernance.
La division la plus importante du chiisme va aboutir à la création de la troisième grande branche de l’Islam : le khajirisme. Cette scission est née lors de l’arbitrage de la bataille de Siffin, où certains partisans d’Ali n’acceptèrent pas la décision retenue, considérant que le jugement devait être divin et donc révélé à l’issue des combats. Un dénouement qui précipita leur départ afin de créer leur propre mouvement. Dès lors, ils furent appelés les khâjirites, ce qui signifie « les sortants ».
Sunnisme et Chiisme : un combat fratricide au travers des âges.
La répercussion de cette scission s’est fait ressentir au cours de l’histoire et principalement sur le XXe et XXIe siècle. Les sunnites – ceux qu’on désigne comme les adeptes de la Sunna (les enseignements, dires et faits du Prophète) – demeurent la branche ultra majoritaire. Ils représentent actuellement environ 80% de la population mondiale musulmane, contre environ 10% pour les Chiites, principalement présent en Iran, à Bahreïn, en Irak et au Liban.
Les tensions entre Sunnites et Chiites vont être de nouveau perceptible dans les années 1960, à l’arrivée de différents groupes radicaux : les salafistes, le mouvement wahhabite en Arabie Saoudite, les Frères musulmans égyptiens et syriens. Le renouveau de la haine des chiites va atteindre un sommet avec la Révolution Islamique d’Iran en 1979. Les monarchies du Golfe vont se sentir en danger par les déclarations de l’ayatollah Khomeiny qui visait à exporter le modèle chiite en dehors de ses frontières.
C’est dans ce contexte que l’invasion de l’Iran en 1980 par l’Irak de Saddam Hussein va être soutenue par les monarchies pétrolières du golfe, avec notamment l’accord de l’Occident. Cette guerre va embraser les relations entre sunnites et chiites durant les huit années de combats et causée plus d’un million de morts. Dès lors les chiites, souvent minoritaires, vont être la cible d’oppression sociale, mais aussi politique dans les États où la centralité du pouvoir est détenue par les sunnites.
Le modèle chiite ne s’est pas exporté comme le voulait Khomeiny, cependant le chiisme sera un facteur déterminant dans le jeu des alliances au Proche et Moyen Orient. L’Iran va trouver des alliés dans le Hezbollah Libanais, dans le gouvernement chiite irakien, en Syrie chez la minorité alaouite au pouvoir (dont est issu Bachar Al Assad). Les sunnites vont dès lors se retrouver à leur tour discriminés dans ces États, perpétuant ainsi le cycle d’animosité entre ces deux communautés religieuses. L’exemple récent des révoltes en Syrie et en Irak sont des conséquences directes de ces discriminations sociales.
Cette guerre de gouvernance à la fois politique, religieuse et sociale entre les deux communautés sœurs a créé une brèche pour les mouvements terroristes djihadistes, dont Daesh. Ces derniers vont utiliser ce sentiment de discrimination et de haine pour être reconnus comme des sauveurs par la population opprimée. L’histoire montrera très rapidement les véritables intentions de Daesh lorsque le 14 juillet 2014, ils proclament le rétablissement d’un califat islamique, symbole de l’Âge d’or pour la branche sunnite. Tout en ayant recours, dans leur communication, à des moyens inégalés par les autres groupes terroristes, et à l’instar de ces derniers, utilisent l’ensemble de l’imagerie sunnite pour convertir de nouveaux membres dans les voies de leur guerre : ils appellent sans cesse à la création d’un État pour la Umma, font référence aux faits d’armes du prophète et de ses successeurs, tout en invoquant les guerres saintes des croisades, et usent d’une lecture rigoriste et décontextualisée du Coran. En prêchant l’unité des fidèles (derrière leur « lutte »), Daesh divise et massacre l’ensemble des communautés qui leur font face, dans un but politique d’extension territoriale, et de richesse, sous couvert d’une dimension religieuse de leurs actions.
L’origine des différents grands mouvements de la religion musulmane montre à quel point le lien entre la religion et la gouvernance est important, puisqu’il en résulte des conflits de successions pour le califat, engendrant la plupart des schismes de l’Islam. L’unité de l’Islam est un élément central de la religion, qui s’appuie sur l’ensemble d’une communauté qui détient des racines communes et dont les prolongements se sont multipliés à chaque crise politique de gouvernance, et à chaque débat doctrinal sur la suite à apporter aux révélations du prophète Muhammad. La lecture de ces événements, de la Révolution islamique en Iran, à la progression de Daesh sur la scène internationale, n’est compréhensible qu’au regard de l’histoire des divisions de la religion musulmane. L’islam est une religion aux ramifications et scissions complexes se basant à la fois sur le domaine de la spiritualité, de la tradition locale et des luttes de gouvernances politiques.
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Merci Malik pour cet excellent article. Il apporte une explication claire et les outils indispensables à une compréhension des conflits islamiques actuels dans le Proche et Moyen Orient.