Il est possible que votre téléviseur soit un Panasonic, tout comme votre appareil photo d’ailleurs. Peut-être lisez-vous cet article sur votre ordinateur ou sur un Smartphone, tous deux équipés d’écrans fabriqués par Panasonic. Qu’en est-il alors de votre éclairage intérieur ?
Le 7 mars 2018, la petite entreprise d’ampoules d’Osaka fêtait ses 100 années d’existence. 100 ans au cours desquelles, elle aura traversé les décennies de crises du XXe siècle, et opéré de nombreuses mues pour maintenir son activité au Japon et à l’international.
À l’occasion du centenaire de la firme japonaise, nous vous proposons de revenir sur l’histoire de Panasonic Corporation et de son fondateur philosophe, Konosuke Matsushita.
De la bicyclette à l’ampoule électrique
Né près de la ville Wakayama, Konosuke Matsushita (1894-1989) connaît une enfance difficile en raison d’investissements réalisés par son père dans une industrie du riz alors en plein effondrement. Envoyé à Osaka par ses parents avant son quinzième anniversaire, Konosuke doit trouver un moyen de faire vivre sa famille. Après un premier travail au sein d’une entreprise de vente de bicyclettes, il sera employé en tant qu’électricien par la Compagnie de lumière électrique de la ville. La vétusté des infrastructures et la mauvaise qualité des produits qui équipent l’éclairage public le pousse à développer sur son temps libre, une solution pour améliorer la résistance des douilles utilisées. Ce projet offre à Konosuke Matsushita l’opportunité de lancer sa propre société grâce au concours de sa femme, Mumeno lue, et de son beau-frère, Toshio.
C’est en 1918, à Osaka, que née la Matsushita Electric Housewares Manufacturing Works, dans un environnement économique propice. À cette date, le Japon en pleine révolution technologique et l’entreprise de K. Matsushita bénéficie de la course à la modernisation industrielle dans laquelle le Japon s’est lancé pour répondre aux besoins de son armée engagée auprès des Alliés dans la Première Guerre mondiale.
Grâce à l’utilisation de composants de meilleure qualité et un assemblage minutieux, le prototype qu’il conçoit montre rapidement des résultats supérieurs aux ampoules utilisées pour l’éclairage public et tertiaire. Par ailleurs, les prix pratiqués par la Matsushita Electric Housewares Manufacturing Works sont de l’ordre de 30 à 50 % moins élevés que ceux de leurs concurrents. Résultat, le carnet de commandes s’agrandit rapidement. Si dans un premier temps les produits proposés sont vendus dans des magasins d’éclairage spécialisés, ce seront bientôt les entreprises qui viendront s’approvisionner elles-mêmes auprès de Konosuke Matsushita.
Fin 1918 et après 9 mois d’existence, l’entreprise compte 20 salariés.
Une culture d’entreprise unique dans un Japon en pleine révolution
Le premier conflit mondial prend fin le 11 novembre 1918 avec la signature de l’Armistice. La conférence de Paris organisée l’année suivante voit l’Empire japonais siéger aux côtés des vainqueurs ; l’occasion pour lui permet d’étendre encore un peu plus son influence sur la Corée et la Chine.
Les entreprises profitent de cette situation pour développer leurs activités à l’étranger. L’accession à un marché international accroît la demande, et les carnets de commandes courts sur plusieurs années. Pour y répondre, elles doivent augmenter les effectifs dans leurs usines, mais se retrouvent rapidement confrontées au manque de main-d’œuvre, le personnel n’hésitant pas à changer d’entreprise pour une autre plus offrante. Les industrielles doivent mettre en place un environnement professionnel attractif pour garder leurs employés.
Dans ce contexte, Konosuke Matsushita développe une idée innovante : si les salariés peuvent partir du jour au lendemain, le seul moyen de les retenir doit être de les impliquer dans la vie de leur entreprise. En conséquence il élabore un programme de formation pour que chaque nouveau salarié puisse acquérir le savoir-faire unique de la Matsushita Electric Housewares Manufacturing Works. Il autorise également la mise en place d’un syndicat du personnel, le Hoichi Ka, dans lequel chaque employé sera amené à participer pour renforcer la cohésion des équipes. Ainsi, il s’assure à moyen terme de la fidélité de son personnel.
De l’ampoule à la lampe à piles pour bicyclette
En 2 ans, les effectifs de la Matsushita Electric Housewares Manufacturing Works doublent et l’entreprise déménage à Tokyo pour y développer un tout nouveau produit pour remplacer les bougies et les lampes à huiles utilisées sur les bicyclettes. Après 6 mois de recherches, Matsushita créait une lampe à piles imitant les formes d’une balle de pistole. Avec près de 40 heures d’utilisation et un éclairage étendu, elle révolutionne le marché. Dans un premier temps, le produit peine à se vendre. Il faudra attendre que les constructeurs de bicyclettes remarquent ses qualités indéniables pour que les commandes affluent et sauvent le projet.
En septembre 1923, la plaine de Kanto est dévastée par un séisme de magnitude 7.9 qui fera près de 150 000 morts en frappant principalement les villes de Yokohama, Shizuoka, et Tokyo. L’usine Matsushita ne résiste pas au tremblement de terre et deux salariés perdent l’usage de leurs mains dans son effondrement. La production est arrêtée pendant plusieurs mois, le temps de reconstruire l’usine. C’est la signature d’un contrat d’exclusivité de 3 ans avec la Yamamoto Trading Company, spécialiste de l’industrie chimique, qui permettra à la société de Matsushita de se relancer, tout en lui offrant le temps nécessaire pour se restructurer et diversifier sa production.
National, création d’un champion de l’industrie du luminaire
C’est au cours de ces années de collaboration que Matsushita mettra au point un tout nouveau modèle de lampe électrique prenant, cette fois-ci, la forme d’une brique. Engagé à commercialiser ses produits via la Yamamoto Trading Company, il accepte de payer une compensation financière de ¥10.000 pour contourner ce contrat et vendre ses produits sous un nouveau nom.
Matsushita choisit l’appellation « National » pour souligner son attrait pour le marché domestique japonais. Les lampes National sont un succès, près de 30 000 unités s’écoulent par mois en 1927, assez pour que l’entreprise continue sa diversification vers des produits d’électroménager. National lance peu de temps après son premier fer à repasser à destination des ménages. L’objectif reste inchangé : proposer des produits de qualité similaire à ceux de leurs concurrents, pour des prix moins élevés. Pour se faire, K. Matsushita s’inspire du Fordisme et opte pour un modèle de production de masse. Aussi, le fer à repasser National se vend 30 % moins cher que ceux déjà présents sur le marché, afin de s’établir à ¥3.2 (le salaire d’une professeur des écoles était de ¥50).
L’instauration d’une philosophie de travail
Le succès du fer à repasser pousse Matsushita à développer une division spécialisée dans la recherche et le développement. En 1928, l’entreprise dégage un chiffre d’affaires mensuel de ¥100.000 et emploie 300 employés.
L’augmentation de ces effectifs et la structuration constante des équipes demandent de nouvelles méthodes de communication interne pour fédérer l’ensemble des salariés. C’est ainsi que Matsushita proposera la mise en place de deux périodiques, le Matsushita Electric Monthly, distribué dans les magasins de revente, et le magazine HoichiKai. Ainsi, ces derniers seront notifiés de toutes les dernières décisions en matière d’évolution de l’entreprise et de règlement interne.
C’est également par cet intermédiaire que Matsushita développera une philosophie de vie en entreprise unique et innovante. Son objectif est de faire prendre conscience à ses salariés que leur travail s’inscrit dans un contexte social global, celui de favoriser le progrès, promouvoir le bien-être général, et faire reconnaître aux entreprises leurs responsabilités vis-à-vis de la société.
Survivre à la Grande dépression
Cette philosophie de travail sera déterminante pour affronter la Grande dépression, alors que le Japon présente des signes de fébrilités économiques depuis le début des années 1920. En octobre 1929, un excès de spéculation entraîne l’effondrement du New York Stock Exchange. Conséquences de prêts bancaires trop largement accordés ne pouvant être remboursés, les banques américaines ferment par manque de liquidités et la consommation des ménages se réduit très nettement.
Les entreprises sont contraintes de pratiquer des prix extrêmement bas pour survivre. Matsushita décide de diviser par 2 la production de ses usines. Dans le même temps, il assure qu’aucun salarié ne perdra son emploi, et change l’appellation de sa société pour reprendre son ancien nom : Matsushita Electric Manufacturing Work. Enfin, il créait la Kokudo Electric Co, en 1930, issue d’une Joint venture avec un manufacturier spécialisé dans les télétransmissions, pour mettre en œuvre le développement d’un tout nouveau produit : la radio à trois tubes R-31. Si la radio est un produit qui équipe de nombreux foyers au Japon, elles sont peu performantes et les transmissions sont laborieuses. La R-31 permet de relancer les usines de la Matsushita Electric Manufacturing Work.
Une nouvelle fois, la radio Matsushita propose un produit de qualité à prix abordable, obligeant ses concurrents à baisser le prix de leurs produits et ainsi assainir le marché pour réaliser des profits sans pour autant tromper le client.
Le Matsushitaïsme : l’élaboration d’un plan de développement sur 250 ans
Les effets du krach de 1929 se feront ressentir jusqu’en 1965 au Japon. Dès 1932 pourtant, Matsushita élabore un projet de développement pour son entreprise sur 250 ans. Ce plan se découpe en dix périodes de 25 années, elles-mêmes réparties en 3 phases : d’abord, une phase de construction sur 10 ans, suivie d’une phase d’activité mettant à profit la phase de construction (10 ans), puis une phase d’exécution de cinq ans.
Konosuke Matsushita souhaite se doter d’un siège social permettant de contrôler l’ensemble des chaînes de production qui emploient 1200 salariés. Il fait construire un complexe de 70.000 m2 à Osaka, et parachève la structuration de son entreprise en trois divisions distinctes et autonomes, capables d’anticiper les demandes du marché, de développer leurs propres produits, et de former individuellement leurs systèmes de management : les radios, les lampes et piles, et les dispositifs de câblage, des résines synthétiques et des produits électrothermiques.
Chaque division devient responsable de la gestion de ses usines et de ses bureaux, du développement, de la fabrication et de la vente de ses produits, tout en visant la rentabilité en pratiquant des prix abordables pour la population japonaise. Cette division des équipes par spécialités est innovante pour l’époque. Elle constitue une nouvelle étape dans le développement d’une nouvelle organisation du travail, le Matsushitaïsme.
En 1934 et 1936, le siège d’Osaka ouvre deux écoles chargées de former les futurs travailleurs d’usine, et de proposer des formations à ceux déjà en poste pour qu’ils puissent appréhender les dernières technicités utilisées dans leurs lieux de travail. Ces mesures s’accompagnent d’une amélioration continue des conditions de travail des employés, afin qu’ils puissent exprimer leur créativité tout en favorisant le développement collectif de l’entreprise. Ainsi, il donne à ses salariés 2 jours de congé supplémentaires par mois pour leur permettre de trouver un équilibre entre loisirs et études, et dès 1937, met en place une association en charge d’offrir une assurance de santé à ses salariés.
En maîtrisant la chaîne de production dès la formation de ses futurs employés, jusqu’à la bonne évolution de leur condition de santé, Konosuke Matsushita s’assure de leur fidélité et de leur capacité à innover constamment.
Les premiers succès du plan de 250 ans
Convaincu de l’importance que prendront les appareils à moteur électronique dans le quotidien des foyers, il ouvre une division spécialisée dans l’élaboration de recherches motorisées et développe un premier moteur à induction triphasé d’une puissance 1/2 cheval. Dans le même temps, la première transmission d’images animées par câble fait sensation en Angleterre en 1935. Masushita s’y intéresse et demande à sa division de Recherche & Développement de développer un premier prototype de télévision à destination du marché japonais. En 1938 est présenté un téléviseur 12 pouces, et l’année suivante, le laboratoire de R&D réussit son premier test de télétransmission envoyé depuis le Centre de télétransmission de Tokyo.
La ville de Tokyo étant pressentie pour organiser les Jeux olympiques de 1940, la demande de télédiffusion ne fait que s’accroître, mais la Seconde Guerre mondiale éclatant peu après, les Jeux sont annulés. Il faudra attendre 7 années supplémentaires pour que les foyers commencent à être équipés de téléviseur.
Le conflit sino-japonais et la guerre du Pacifique
En juillet 1937, le Japon rentre en guerre contre la Chine pour poursuivre sa politique coloniale. En août, les villes de Pékin et de Tianjin sont prises, en novembre, c’est Shanghai, puis Nankin qui tombent. Rapidement, le Japon occupe toute la partie Est de la Chine actuelle.
Mais les troupes chinoises résistent à l’armée japonaise grâce au soutien de l’Allemagne nazie, puis de l’URSS. Fin 1941, la Chine rejoint officiellement le camp des Alliés, et voit à ce titre, les États-Unis lui fournir un appuie matériel de près d’1,6 milliard de dollars. Par opposition, le Japon intègre l’Axe (Rome-Berlin-Tokyo).
En accédant à cette reconnaissance statutaire, la Seconde Guerre sino-japonaise devient un nouveau front de la Seconde Guerre mondiale. Dans le même temps, la loi de mobilisation générale au Japon contraint les entreprises à produire des matériels pour l’armée, et nombreux sont les salariés qui se retrouvent enrôlés pour combattre sur le front chinois. La raréfaction des matières premières et le manque de main-d’œuvre pèsent sur l’économie nippone lorsque la Guerre du pacifique éclate en décembre 1941.
La Matsushita Electric Manufacturing Work est en charge de produire des équipements militaires. Pour ce faire, elle développe deux nouvelles entités, l’une est spécialisée dans la conception de navires, c’est la Matsushita Shipbuilding company, et la seconde dans l’équipement des avions, la Matsushita Airplane company. 56 navires et 3 avions sortiront de leurs entrepôts jusqu’à la reddition du Japon en août 1945.
Référence bibliographique : 100 years of ‘Better’, Panasonic Corporation