Chaque année, l’Assemblée générale des Nations-Unis est sans conteste le grand rassemblement dédié à la politique étrangère. Une occasion unique pour l’ensemble des dirigeants des 193 États qui siègent à l’ONU, de préciser leur vision sur les relations qu’entretiennent les nations entre elles et d’évoquer, avec plus ou moins d’habilité, les grands enjeux qui marqueront l’année à venir.
Comme attendu, c’est le discours du Président des États-Unis d’Amérique, Donald J. Trump, qui a donné le LA à ce rendez-vous.
Les sujets à évoquer ne manquaient pas : le sort de la minorité des Rohingya au sein de la République de l’Union du Myanmar, les enjeux du réchauffement climatique et les crises sanitaires qui en découlent, le conflit au Yémen et l’attitude de la coalition emmenée par l’Arabie Saoudite…
S’il a été longuement question du dirigeant nord-coréen Kim-Jong Un, répétition de ses précédentes allocutions sur celui qui est désormais surnommé « Rocket Man », l’accord nucléaire signé en 2015 avec l’Iran a également fait l’objet d’un traitement bien particulier de la part du 45ème Président des États-Unis. Un discours faisant écho aux propos tenus par le candidat Trump au moment de la campagne présidentielle, mais aussi aux récentes déclarations de Nikki Haley, ambassadrice américaine auprès des Nations-Unies. Des positions qui n’étaient pas sans ravir Benyamin Netanyahou, l’actuel Premier ministre israélien, qui, quelque temps après s’avançait à la tribune onusienne pour corroborer les propos tenus par son homologue américain[1].
« I will always put America first, just like you, as the leaders of your countries, will always and should always put your countries first«
On comprend aisément, à l’écoute du discours de Président Trump, que subsiste chez lui une grande nébuleuse qui entoure le Moyen-Orient. Dans cet imaginaire coexistent alliés (Israël, Arabie saoudite), ennemis (Iran, Syrie), états déchus (Irak, Afghanistan, Yémen, Libye), et organisations terroristes (Daesh, Al-Qaeda, Hamas, Hezbollah). À cela s’ajoute une incompréhension la plus totale de la religion musulmane et de ses deux branches principales, le sunnisme et le chiisme, réduits à un affrontement entre les deux puissances régionales, l’Iran (ennemi), l’Arabie Saoudite (allié).
Schématiquement, cela reviendrait à dire que le Président Trump, défendant les intérêts des États-Unis, en tant qu’acteur rationnel, fait le choix de reprendre à son compte la rhétorique développée par ses alliés pour constituer sa vision du Moyen-Orient.
Ainsi, lorsqu’il en dresse l’état général, y est désigné comme menace, l’Iran, dont il qualifie le régime de « corrupt dictatorship behind the false guise of a democracy », et de soutien au terrorisme « that kill innocent Muslims and attack their peaceful Arab and Israeli neighbors ».
Sous ce prisme, la République islamique qui soutient financièrement le Hamas, et le Hezbollah, humanitairement l’insurrection yéménite et militairement le gouvernement syrien, revêt logiquement, l’habit du déstabilisateur que le Président Trump veut lui prêter. Mais en faisant cela, il choisit volontairement de ne pas reconnaître l’existence d’une coopération irano-américaine dans l’invasion de l’Afghanistan et de l’Irak, tout comme il minimise le rôle de l’Iran dans la lutte contre les mouvements idéologiques que sont Al-Qaeda et Daesh. À l’inverse il ajoute que les voisins de l’Iran, alliés des États-Unis, sont eux disposés à faire taire les soupçons qui pèsent sur eux, en contribuant à la lutte contre le terrorisme : “The Iranian regime’s support for terror is in stark contrast to the recent commitments of many of its neighbors to fight terrorism and halt its finance, and in Saudi Arabia early last year, I was greatly honored to address the leaders of more than 50 Arab and Muslim nations. We agreed that all responsible nations must work together to confront terrorists and the Islamic extremism that inspires them.” Ainsi, il délivre une copie d’un régime qui, répondant à l’image que véhicule les « faucons », le conduit à remettre en cause ce qu’il qualifie d’«embarrassment to the United States », c’est-à-dire l’accord nucléaire hérité de son prédécesseur, Barack Obama : « The Iran deal was one of the worst and most one-sided transactions the United States has ever entered into ».
Dans cette mesure, comment expliquer la stratégie suivie par Donald J. Trump et les choix qui conduisent son action ?
Graham T. Allison dans son ouvrage Essence of Decision: Explaining the Cuban Missile Crisis (1971) montre que l’État, dans son processus décisionnel, ne se comporte pas comme un acteur rationnel mué par des comportements raisonnés, mais au contraire, opère des choix résultants de l’influence exercée par un ensemble d’éléments extérieurs fondés sur ses intérêts propres, la lourdeur de sa bureaucratie (lenteur d’exécution, retenue d’informations, interprétations biaisées, etc.) et sur les enjeux de « politicking » (politique-politicienne) interne menée par ses dirigeants.
Ainsi, Donald Trump a promis à ses partisans de déchirer l’accord nucléaire (Joint Comprehensive Plan of Action – JCPOA), avant de réaffirmer ses propos devant les membres du Tea Party. Une doctrine distillée par Rex Tillerson, Secrétaire d’État des États-Unis, et Nikki Haley, dont les positions radicales semblent fortement influencer le Président. Bien que l’accord ne soit pas bilatéral (forte heureusement), l’administration Trump s’évertue à vouloir le faire annuler, quitte à demander l’ouverture d’un nouveau dialogue pour renégocier ses dispositions. La ligne suivie semble claire : faire en sorte qu’acculé par de nouvelles sanctions et des accusations à la chaîne, le gouvernement iranien soit contraint de dénoncer l’accord, ou poussé à le transgresser. Objectif : offrir les raisons suffisantes aux autres signataires de dénoncer eux-mêmes cet accord.
Un passage de son discours illustre particulièrement bien cet aspect : “The entire world understands that the good people of Iran want change, and, other than the vast military power of the United States, that Iran’s people are what their leaders fear the most. (…) Oppressive regimes cannot endure forever, and the day will come when the people will face a choice. Will they continue down the path of poverty, bloodshed, and terror, or will the Iranian people return to the nation’s proud roots as a center of civilization, culture, and wealth, where their people can be happy and prosperous once again? ”. Droits de l’Homme, corruption, oppression… Après avoir démontré que l’Iran était à lui seul l’acteur du déséquilibre du Moyen-Orient et lui avoir semoncé de ne plus s’ingérer dans les affaires de politique étrangère de ses voisins, le Président américain s’emploie à énumérer les raisons qui justifieraient de voir se soulever en Iran, une nouvelle révolution de son peuple pour bannir le régime emmené par de « false guide(s) », et, pour affaiblir le régime, de voir insuffler une nouvelle salve de sanctions, quitte à proscrire l’Iran du marché mondial.
Les enjeux sont de taille puisque, depuis l’entrée en vigueur du JCPOA, le 16 janvier 2016, l’ouverture de l’Iran aux capitaux étrangers offre des opportunités de développement économique pour les entreprises occidentales, notamment dans le secteur des transports, de l’électronique, de l’énergie…. Pour autant, et contrairement aux autres membres du Groupe 5+1 (Chine, Russie, Royaume-Uni, France et Allemagne) qui multiplient les signatures de contrats industriels, les États-Unis n’en bénéficient pas autant. De fait, rompre l’accord nucléaire iranien n’aurait pas de conséquence directe sur l’économie étasunienne, contrairement à celle d’un pays comme la France qui, avec Renault, Peugeot, Airbus, a réussi à se réimplanter en Iran avec la bénédiction du régime, et propose maintenant de faciliter l’installation d’entreprises françaises en Iran via des financements simplifiés. Ces raisons expliquent sans doute la teneur du discours du Président de la République française, Emmanuel Macron, en tout point opposé à celui de son homologue américain, tant sur leur volonté de résoudre les crises internationales, que sur leur vision de l’avenir.
Suite à ce discours du 19 septembre 2017, la réponse de l’Iran s’est fait entendre par la voix de son ministre des Affaires étrangères iranien, Javed Zarif :
Trump’s ignorant hate speech belongs in medieval times-not the 21st Century UN -unworthy of a reply. Fake empathy for Iranians fools no one.
— Javad Zarif (@JZarif) 19 septembre 2017
Puis par celle du Président Hassan Rohani dans son discours à la tribune de l’ONU, qualifiant les propos de Donald Trump d’une « ignorant, absurd and hateful rhetoric filled with baseless allegations« , avant que le Guide suprême, Ali Khamenei, n’ajoute que le Président américain adoptait un comportement de gangster et de cow boy.
Nulle comparaison pour l’heure avec la Corée du Nord, mais chose est sûre, la posture adoptée par Donald Trump qui estime qu’il est inutile de respecter les conditions de l’accord nucléaire puisque, l’Iran ne les respecte pas[2], vise avant tout à être annonciateur d’une prophétie qui, à force d’être martelée viendrait à s’auto réaliser ; i.e. dans sa définition de la prophétie auto réalisatrice, Robert K. Merton a montré qu’une croyance a d’autant plus de chances de voir ses conséquences annoncées se réaliser que les gens commencent à y croire.
— Pour aller plus loin —
Retrouvez le discours du Président Donald Trump à ce lien : http://bit.ly/2w4DWsP
— Notes de bas de page —
[1] L’expression employée par Benyamin Netanyahou est la suivante : « (No speech) was bolder, none were more courageous and forthright as the one delivered by President Trump. »
[2] Chose discutable puisque, selon l’Agence Internationale de l’Énergie Nucléaire en charge d’observer la conformité des sites d’enrichissements iraniens, l’ensemble des infrastructures visées par le JCPOA sont en règle. N’y sont pas concernés les sites militaires, tout comme n’y est pas encadré le programme balistique iranien qui n’a pas de finalité à porter des ogives nucléaires.