À quelques semaines du premier tour de l’élection présidentielle française, nous vous proposons de revenir sur les propositions relatives à l’Europe, à la politique étrangère de la France et aux relations avec les institutions internationales en matière de défense, exprimées dans les programmes des principaux candidats. Premier galop d’essai : l’Union européenne.
François Fillon : « Une France souveraine dans une Europe respectueuse des nations »
Au constat d’une Europe en crise, « inefficace, inutile, dépassée » en proie à une « crise identitaire, mis à mal [par] la montée des populismes et des extrémismes », le candidat des Républicains fait le souhait d’une « Europe plus politique (…) une Europe des nations (…) garante » de la souveraineté des États membres. François Fillon souhaite que la France soit le moteur de ce nouvel élan.
Le candidat en déduit cinq axes stratégiques devant conduire l’action de l’Union européenne, et formule les propositions qui en découlent :
- La maîtrise des frontières des États membres et le contrôle de l’immigration :
- Lancer un « Schengen de la justice » visant à faire la « double peine » et demandant la réciprocité de l’application des actes d’expulsion exprimés à l’encontre « tout délinquant reconnu coupable d’un crime ou d’un délit » dans un pays européen
- Harmoniser les règles d’accueil au niveau européen avec la création d’un droit d’asile commun ;
- Tripler le budget de Frontex et créer un corps européen de gardes-frontières.
- Le développement d’une défense européenne autonome par :
- Des efforts militaires et financiers conjoints ;
- Une solidarité européenne pour soutenir l’industrie européenne de la défense à la fois en matière de développement de programme militaire
- Des achats d’armements européens
- Approfondir la coopération militaire avec les Britanniques après le Brexit
- Une meilleure coopération universitaire et scientifique entre les États européens par :
- La création de pôles sur la recherche médicale ou transports du futur ;
- La mise en réseau au des pôles de compétitivité et à la coordination des programmes de recherche entre les universités ;
- La mise en place d’une politique énergétique européenne innovante et indépendante.
- Une politique commerciale protectrice des entreprises européennes avec :
- Le refus de signature du traité transatlantique ;
- L’application de la réciprocité en matière de respect des normes environnementales et sociales sur les produits importés ;
- L’application du respect des réglementations antidumping ;
- L’application de la réciprocité concernant l’ouverture des marchés publics en Chine et aux États-Unis ;
- La négociation d’un nouveau partenariat commercial EU/Russie qui offrirait à nos entreprises de nouveaux débouchés ;
- Le refus d’octroi d’un statut d’économie de marché à la Chine.
- Un renforcement des institutions européennes dans le respect des souverainetés nationales permettant de :
- Revoir le rôle et les priorités de la Commission européenne et circonscrire son pouvoir de proposition à seulement quelques domaines fondamentaux ;
- Confier la Gouvernance de la zone euro à un Secrétariat général dédié qui remplacera la Commission ;
- Créer un Secrétariat général de la zone euro complètement autonome de la Commission qui assurera le suivi et la gestion de la zone économique ;
- Coordonner la politique accommodante de la Banque Centrale européenne avec une stratégie économique globale ;
- Créer un Trésor européen avec une mise en commun des dettes ;
- Doter la zone euro d’un directoire politique, composé des chefs de gouvernement, présidé par l’un d’entre eux ;
- Faire de l’Euro une monnaie de réserve et de règlement à égalité avec le Dollar américain.
Benoît Hamon : « La France ne sera pleinement indépendante et audible que dans une Europe forte et unie »
Sécurité, climat, coopération… Le candidat du Parti socialiste propose un « nouveau contrat politique pour l’Europe » avec pour objectif le progrès social, économique et environnemental.
Quatre idées-forces en découlent :
- La création d’une défense européenne basée sur :
- La coopération logistique et financière des États membres aux opérations extérieures faites par la France ;
- Le renforcement des états-majors européens et les brigades binationales ;
- La mutualisation des moyens de renseignement avec la mise en place de task forces multilatérales pour aboutir à une agence de renseignement européenne.
- La sortie du budget de la défense des règles européennes de déficit.
- Un processus de convergence fiscale européenne :
- L’annulation de la dette contractée par les pays de l’Union européenne les plus endettés ;
- Une mutualisation de la dette européenne en rendant les États solidaires pour qu’ils se portent caution mutuellement de leur dette actuelle, en émettant pour l’avenir une dette commune ;
- L’évolution des statuts de la BCE pour faciliter le financement direct de la dette des États ;
- La défense des intérêts européens face au libéralisme économique en suspendant l’application de l’accord de libre-échange avec le Canada, le CETA, afin de protéger les préférences collectives en matière d’environnement, de santé et de protection sociale ;
- La non-signature du TAFTA et du TISA ;
- L’organisation d’un moratoire sur le Pacte de stabilité et le TSCG ;
- Une harmonisation fiscale en Europe, et un rapprochement des taux de l’impôt sur les sociétés, pour un taux plafond de la TVA et pour une harmonisation de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale, avec pour objectif, la création d’un nouvel impôt européen sur les GAFA et les multinationales pour augmenter le budget de l’UE.
- Un processus de convergence sociale européenne :
- Une harmonisation salariale européenne avec un salaire minimum par pays à hauteur de 60% du salaire moyen ;
- Une révision de la directive sur les travailleurs détachés, pour garantir le respect du principe « à travail égal, salaire égal » ;
- La modification des règles de Dublin sur le droit d’asile qui font reposer le poids de l’accueil des réfugiés sur les pays aux frontières de l’Europe, grâce notamment à une clé de répartition de l’accueil des demandeurs d’asile entre les pays membres de l’UE en imposant la participation de tous les États membres en fonction de leur capacité ;
- Un visa humanitaire pour une protection temporaire sur le territoire français ;
- Une protection accrue des lanceurs d’alerte, avec un soutien financier et une prise en charge des frais de leur procédure juridique ;
- Une Europe de la culture, avec un attachement à l’exception culturelle qui a permis le prix unique du livre et un mode de financement du cinéma à la fois redistributif et efficace.
- Un grand plan d’investissement vers la transition écologique :
- Une PAC verte pour accompagner la transition agricole pour un modèle agroécologique, c’est à dire réduisant l’usage des engrais et autres intrants, pour préserver les ressources naturelles ;
- Une transition énergétique grâce à un plan d’investissement de 1000 milliards centré sur la transition écologique et à destination prioritaire des zones de l’Europe les plus défavorisées, via une contribution ambitieuse des États, le fléchage des financements privés vers les investissements verts et la suppression de toutes les subventions aux énergies fossiles.
Marine Le Pen : « Vers une Europe des nations indépendantes, au service des peuples »
Intitulée « Rendre à la France sa souveraineté nationale », la partie relative à l’Union européenne dans le programme de la candidate du Front nationale ne comporte qu’une proposition qui découle de cette logique : engager un référendum sur l’appartenance de la France à l’Union européenne.
L’objectif de liberté et de souveraineté souhaité par Marine Le Pen vise à redonner à la France la maîtrise de sa législation, de son économie, de son territoire et de sa monnaie (si Frexit il y a, la France viendrait également à sortir du système monétaire unique pour frapper une nouvelle devise, le nouveau franc).
Emmanuel Macron : « Une France indépendante, humaniste et européenne»
Constats faisant d’une Europe en proie à des défis sécuritaires, climatiques, monétaires, identitaires, le candidat d’En Marche ! propose 3 séquences d’analyse pour y remédier. Elles portent sur :
- La place de la France en Europe ;
- L’avenir de l’Union européenne ;
- La promotion d’une politique commune face à ces grands défis.
De ces enjeux, Emmanuel Macron met des propositions qui suivent trois idées-forces :
- Prendre le temps du débat et du rétablissement de la confiance, c’est à dire :
- faire émerger, dans chaque État membre, un débat de société visant à définir l’action de l’Union européenne, et ses priorités ;
- mettre en place des listes européennes pour élire les 73 eurodéputés correspondant aux sièges britanniques au Parlement européen.
- Réaffirmer les 5 dimensions de la souveraineté européenne, c’est à dire :
- L’Europe de la sécurité :
- En renforçant le corps de police des frontières européen, grâce à une capacité de surveillance accrue et de protection durables des frontières extérieures., avec pour objectif 5 000 hommes mobilisables par l’Agence européenne de garde-frontières et de garde‑côtes ;
- En développant des accords globaux avec les principaux pays de départ et de transit des migrants, fondés sur une aide au développement, l’installation de points de contrôle dans ces pays avant l’arrivée dans l’UE, l’aide à la lutte contre les passeurs et le retour des migrants non autorisés à entrer dans l’Union européenne ;
- En créant un Fonds européen de défense qui financera des équipements militaires communs et des programmes conjoints de recherche & développement militaire ;
- En mettant en place un Quartier Général européen permanent chargé d’assurer une planification et un contrôle des opérations de défense européenne, en lien étroit avec les centres de commandement nationaux et l’OTAN ;
- En créant un Conseil de sécurité européen rassemblant les principaux responsables militaires, diplomatiques et du renseignement des États membres ;
- En mettant en place une coopération spécifique entre les États membres qui souhaitent avancer ensemble sur les questions de défense sans attendre la participation de tous les pays de l’Union européenne ;
- En établissant un véritable système d’information européen pour faciliter les actions de renseignement : une base de données centralisée avec un échange obligatoire d’informations, accessible aux services de renseignement des différents États membres.
- L’Europe de la sécurité :
- L’Europe de la croissance :
- En créant un budget pour la zone euro avec 3 fonctions (investissements d’avenir, assistance financière d’urgence et réponse aux crises économiques) ;
- En créant un poste de ministre de l’Économie et des Finances de la zone euro, qui aura la responsabilité du budget de la zone euro, sous le contrôle d’un Parlement de la zone euro, rassemblant les parlementaires européens des États membres ;
- En mettant en place un socle de droits sociaux européens, en définissant des standards minimums en matière de droits à la formation, de couverture santé, d’assurance chômage ou de salaire minimum.
- L’Europe comme rempart contre les effets néfastes de la mondialisation :
- En défendant le renforcement des instruments antidumping ;
- En défendant un « Buy European Act » permettant de réserver l’accès aux marchés publics européens aux entreprises qui localisent au moins la moitié de leur production en Europe ;
- En mettant en place au niveau européen un instrument de contrôle des investissements étrangers en Europe ;
- En créant un « procureur commercial européen », pour vérifier le respect des engagements pris par les partenaires de l’UE et sanctionner rapidement leur violation en matière sociale, environnementale ou fiscale ;
- En intégrant dans tous les accords commerciaux de l’UE un volet de coopération fiscale ainsi que des clauses sociales et environnementales contraignantes ;
- En mettant en place des comités de vigilance associant des représentants d’associations et d’ONG au cours de la négociation, puis pour l’application des accords commerciaux et l’évaluation de leur impact.
- L’Europe du développement durable :
- En réformant le marché carbone européen, en agissant par la fixation d’un prix plancher de la tonne de carbone ;
- En rendant la politique agricole commune plus protectrice et plus réactive, grâce à des mécanismes de stabilisation des revenus adaptés à chaque filière et en favorisant une agriculture plus respectueuse de l’environnement.
- L’Europe du numérique :
- En promouvant la mise en place d’un Fonds européen de financement en capital-risque de 5 milliards d’euros pour accompagner la croissance des start-ups européennes du numérique ;
- En renégociant avec les États-Unis le « Privacy Shield » afin de garantir la préservation des données personnelles de tous les Européens ;
- En mettant en place une Agence européenne chargée de la régulation des grandes plateformes numériques.
- Renforcer l’identité européenne par des réalisations concrètes :
- En généralisant progressivement le programme « Erasmus », avec l’objectif de 200 000 jeunes Français par an effectuant au moins un semestre à l’étranger d’ici 2022 ;
- En développant des échanges avec les pays méditerranéens ;
- En créant un statut européen de l’apprenti facilitant la mobilité.
Jean-Luc Mélenchon : « Une refondation démocratique, sociale et écologique de l’Europe par la rupture avec l’UE »
Le candidat de la France Insoumise a défini 3 étapes pour repenser le rôle de la France dans l’Europe :
- Désigner les ennemis : c’est-à-dire les politiques d’austérité emmenées par l’Allemagne, les institutions financières européennes (BCE), le libéralisme qui transparaît des directives de la Commission européenne, et la primauté du droit européen (supra-national) sur le droit national des États membres ;
- Avoir une politique nationale permettant de freiner l’action de l’Union européenne : c’est à dire, « réquisition de la Banque de France, liquidation des paradis fiscaux de manière « volontariste », mise sous contrôle des mouvements de capitaux, pratique des politiques d’« opt-out » sur la libéralisation des services publics » ;
- Refonder l’Union européenne sur des principes démocratiques, sociaux et écologiques : cette refondation passe donc par un démantèlement de l’actuelle Union emmener par la France, pour proposer une coopération entre États avec un socle commun basé sur un « protectionnisme solidaire aux frontières » (respect des droits du travail et environnementaux ; opposer la règle verte écologique à la « règle d’or » comptable, etc…).
Jean-Luc Mélenchon développe en ce sens ses propositions :
- Rachat de la dette des États par la banque centrale, pour mettre fin à la pression des créanciers ;
- Réorientation du rôle de la BCE afin que ses activités se focalisent sur le développement du plein emploi et le financement direct des États auprès de la BCE ;
- Suppression de la surveillance budgétaire des États avec, pour objectif, de proposer aux citoyens de décider eux-mêmes de la manière dont les impôts et les cotisations sociales seront employés ;
- Transformation de la monnaie unique en monnaie commune afin que chaque État puisse retrouver des marges de manœuvre d’ajustement monétaire. A ce titre, le programme rajoute que la « création de monnaie complémentaire nationale, sur le modèle des créations de monnaies locales (…) concernerait tous les échanges productifs en France, ne serait pas soumis au marché financier et donc pas attaquable. Et l’euro serait conservé pour les échanges internationaux » ;
- Harmonisation fiscale et salariale en Europe, pour mettre fin au dumping, ainsi que la lutte contre la finance, pour retrouver des marges de manœuvre ;
- Protection des services publics et agriculture paysanne ;
- Opposition de la France aux TAFTA/CETA par le protectionnisme.
Point de complément : bien qu’absente des débats, la question de la place de la France dans l’Union européenne reste un enjeu primordial de la présidentielle. Si les différents candidats consacrent le rôle que joue la France dans l’Europe, capable d’engager une impulsion qui irriguera l’action de l’Europe, il est à noter que leurs positions reflètent les différentes sensibilités qui s’affrontent au sein des États membres : renforcement de la coopération, libéralisme, protectionnisme, souverainisme.
NDRL : la liste des candidats suit un ordre alphabétique