À la veille de son soixantième anniversaire, l’Union européenne s’effrite. Il y a deux ans déjà, les négociations calamiteuses qui entouraient le possible Grexit avaient suffi à mettre en lumière les limites de sa cohésion. Bien que la brèche ait été colmatée par cimentations successives, l’année 2016 a, avec le Brexit, fait imploser l’apparente cohérence de cet ensemble.
Conscient de ce danger, Jean-Claude Juncker, le Président de la Commission européenne, présentait le 1er mars dernier un plan stratégique pour sauver l’Union. Ce « Livre blanc sur l’avenir de l’Europe », annoncé comme le pourfendeur des divisions européennes, s’est finalement contenté d’offrir une vision en 5 points des différentes stratégies à adopter pour pérenniser l’UE :
- Scénario 1 : S’inscrire dans la continuité ;
- Scénario 2 : Rien d’autre que le marché unique ;
- Scénario 3 : Ceux qui veulent plus font plus ;
- Scénario 4 : Faire moins de manière plus efficace ;
- Scénario 5 : Faire beaucoup plus ensemble.
Largement commenté pour son manque d’ambition, le document reflète à lui seul les griefs portés à cette organisation réputée irréformable : une autorité hors-sol, ignorant les besoins spécifiques des citoyens européens à qui elles imposeraient des décisions arbitraires et discrétionnaires, et ce, même s’ils ne savent mesurer son implication dans leur quotidien.
Une situation qui favorise finalement l’émergence d’acteurs politiques nationalistes de premier plan, dont les ambitions séparatistes renforcent le risque qui pèse sur la durabilité de l’UE. C’est notamment le cas des Pays-Bas qui, à l’occasion de la campagne pour les élections législatives du 15 mars prochain, ont laissé prospérer les idées de Geert Wilders, leader du Parti pour la liberté (le Partij voor de Vrijheid, abrégé PVV).
Qui est-il ?
Geert Wilders n’est pas un nouveau venu dans le champ politique néerlandais. Assistant parlementaire pendant 8 ans de l’ancien Commissaire européen au marché intérieur et aux services, Frits Bolkestein [connu pour la directive services (ou directive Bolkestein) visant à simplifier les conditions d’accessibilité d’un prestataire de services d’un État membre de l’Union européenne, au marché d’un autre État membre], lui-même à tendance xénophobe, il entre au parlement hollandais (la Seconde Chambre des États généraux) en 1999 au sein du VDD (Volkspartij voor Vrijheid en Democratie – Parti populaire libéral et démocrate) puis créer son propre mouvement, le PVV, en 2006 avec lequel il réalisera rapidement des performances électorales notables, obtenant 9 des 150 sièges du Parlement néerlandais la même année, puis 24 en 2010, après avoir reçu 4 sièges au Parlement européen en 2009.
Que veut-il ?
Son programme pour remporter les élections législatives tient en 11 propositions : interdire le Coran, les écoles coraniques et le port de la burqa dans la fonction publique, fermer les mosquées, stopper l’immigration d’étrangers de confession musulmane, interdire l’accès du territoire aux Néerlandais ayant transité par la Syrie ; [voici pour la partie portant sur les libertés sociales…] ; maintien de l’âge du départ à la retraite à 65 ans, fin de l’austérité dans le domaine de la santé, gèle des loyers, baisse de la fiscalité pesant sur les ménages, et enfin, mesure essentiellement, déclenchement du « Nexit », terme qui désigne à la fois le retrait du programme de monnaie unique, et le départ des Pays-Bas de l’Union européenne[1].
Peut-il gagner ?
Ses mesures comme ses déclarations[2] lui ont permis de vampiriser le débat politique et de s’attirer une large couverture médiatique, non seulement nationale, mais également européenne, voire même internationale. Un positionnement stratégique qui lui permettrait notamment de financer sa structure grâce aux subventions supposées de néoconservateurs Américains[3].
Une situation obligeant ses adversaires politiques à durcir leurs lignes pour ne pas perdre de terrain sur celui qui se voit déjà comme le nouveau premier ministre hollandais.
Pour l’heure, la formation enregistrerait des résultats de l’ordre de 15 % des intentions de vote. Assez pour l’emporter ? Pas forcément. Aucun des 28 partis qui prennent part à ces élections ne souhaite former de coalition avec l’intéressé. Il faudrait alors que le PVV rafle pas moins de 76 sièges pour obtenir la majorité absolue, soit une mission quasiment impossible.
Réflexion plus profonde sur la déperdition de l’Union européenne
La personnalité de Geert Wilders s’inscrit dans la droite lignée des représentants nationalistes, populistes et isolationnistes, dont les idées sont devenues audibles en Europe grâce à une instrumentalisation soigneusement orchestrée des craintes exprimées par l’ensemble des peuples européens. Ce schéma se définit selon un schéma récurent, liant immigration, religion, délinquance et terrorisme comme un ensemble de corollaires déductibles, désignant l’Union européenne comme responsable de la perte d’indépendance de ses États membres, incriminant les élites politiques nationales d’avoir abandonné la souveraineté de leur peuple à la superpuissance européenne, et donc avec elle la sécurité de ses citoyens.
À moins de 50 jours de l’élection présidentielle française et avant les élections fédérales allemandes d’août prochain, il s’agit là d’un nouveau test visant à éprouver la résistance de l’Union européenne. Cependant, les Pays-Bas ne sont ni le Royaume-Uni ni la Grèce, puisqu’en tant qu’État membre fondateur[4], une sortie de l’Union européenne entraînerait un basculement idéologique de ses États membres, faisant retentir, cette fois, l’oraison funèbre de l’Union européenne.
Alors Nexit ou pas, qu’il est loin le temps d’Érasme et du 9 mai 1950…
— Notes de bas de page —
[1] Jean-Pierre Stroobants, Le populiste Wilders veut interdire le Coran aux Pays-Bas, Le Monde.fr, 31 août 2016
[2] « Sur le voile islamique (« un torchon de tête »), l’Europe (un « Etat nazi »), les délinquants marocains (« les terroristes des rues ») ou les « villages de racailles » » – Jean-Pierre Stroobants, Geert Wilders, itinéraire d’un populiste, Le Monde.fr, 9 mars 2017
[3] Ibid
[4] États membres fondateurs : Allemagne, France, Italie, Belgique, Luxembourg et Pays-Bas