En août 2015, nous écrivions au sujet de Donald Trump qu’il était « à la fois la star et l’interrogation de ces élections », que « moqué ou admiré, il ne laisse personne indifférent » et enfin qu’il « incarne à lui seul la réussite, l’ambition et la mégalomanie à l’américaine ».
À cette époque un sondage publié le 14 juillet pour le USA Today-Suffolk University, faisait figurer l’homme d’affaire en tête des intentions de votes de la primaire républicaine, avec 17 % des suffrages, contre 14 % pour Jeb Bush et 8 % pour Scott Walker.
En mai dernier, dans le n° 17 du magazine Panthéon Sorbonne, nous soulignions que son projet politique soulevait « de très nombreuses interrogations », notamment du point de vue de la politique étrangère qu’il souhaitait mener, sujet qui finalement nous engage tous et pour lequel nous entrevoyions la fin d’une époque débutée au sortir de la Seconde Guerre mondiale, celle de l’interventionnisme à outrance, celle où les États-Unis avaient endossé le rôle de « gendarme du monde ».
Quelque part entre cet hier et aujourd’hui nous avons vu évoluer les conflits internationaux : fin de la Guerre Froide (si elle l’est), guerre du Golfe, attentats du 11 septembre, Guerre en Irak, Libye, Daesh, Syrie, Yémen…
Pour autant, nous sommes restés spectateurs, et spectateurs, nous le sommes tout autant devant ces élections.
L’Amérique représentait, toutes générations confondues, un idéal imagé. Du chewing gum au fast food, de Jackie Kennedy à Michel Obama, du crie des esclaves au cœur des plantations texanes au jazz rythmant les bars de Louisiane, du Brooklyn underground aux rues blanchâtres de Washington … enchantements et imaginaire à répétition.
Jamais, pour autant, nous avons été amenés à nous questionner sur la réalité du message envoyé puisque l’inconscient ici travaillait pour nous. L’esprit de liberté des États-Unis suffisait en lui-même pour nous convaincre que l’Amérique se résumait en la réussite de l’homme qui s’est fait seul. La réalité est tout autre. Le cow-boy, si c’est notre homme, est descendu de sa monture et dans son mouvement, a écrasé son mégot sur la tête du vilain qui l’accompagnait.
En politique c’est pareil. Tous les coups sont permis, et Donald Trump, s’il n’est pas un apparatchik, l’a bien compris. Surtout, il sait que le monde l’a regardé des mois durant, de Sacramento à Tokyo en passant par la Chine et l’Iran. Alors si le champ médiatique s’étend à n’en plus finir, ce n’est pas sa capacité à remporter l’élection américaine seule qu’il a souhaité tester, mais plutôt la capacité de résilience à ses idées qu’il a choisi de véhiculer.
Et tous, dans le panneau nous sommes tombés ! Même Hillary Clinton, liée aux mesures dites d’anti-trumpisme qu’elle a proposé et non plus à son projet initial.
Oui ce débat a été grossier, oui ce débat a tourné la politique américaine au ridicule, oui nous nous sommes dit « mais qui sont ces clowns, comment peuvent-ils en être là ? », et même s’il n’a pas permis de faire émerger les politiques qu’attendaient les américains, il est impossible de nier que ce débat ait été dénué d’idéologie.
Et voici comment les idées défendues par Donald Trump ont gagné
Ne nous cachons pas. La portée du discours que Donald Trump a incarné n’est pas neutre. Elle a réveillé une idéologie bien enfouie en nous.
Comment se fait-il que ce personnage qui a connu un tel déchaînement de haine suite à ses propos eux aussi haineux, puisse encore être en tête des sondages à une semaine des élections ?
C’est simple pourtant. Le discours véhiculé par Trump a divisé, et en divisant, ses propos ont trouvé une résonance particulière en chacun de nous.
Lorsque aux États-Unis Donald Trump soulève l’idée de lever un mur contre les mouvements migratoires du voisin mexicain, en Europe Viktor Orbán achève la construction du határőrizeti célú ideiglenes kerítés (en français la « barrière provisoire de contrôle frontalier »), ce mur anti-migrant aux frontières hongroises, serbes et croates, visant à contenir les flux migratoires illégaux.
Lorsque son visage est associé à la Waffen-SS par ses membres de campagne – ici – le mouvement Pediga (Patriotische Europäer gegen die Islamisierung des Abendlandes) manifeste déjà pour combattre « l’islamisation de l’Europe, l’intégrisme musulman et la politique du gouvernement sur les droits d’asiles accordés aux musulmans ».
Lorsqu’il promet aux américains d’expulser 11 millions de sans-papiers, nous fermons la jungle de Calais après avoir soutenu durant des mois entiers qu’après tout « ce n’était pas notre problème mais celui des Anglais ».
Le fait que nous regardions les élections américaines comme un show télévisé nous désinhibe. Dès lors, il devient acceptable d’entendre des discours populistes, de trouver que dans un certain sens, les politiciens qui les incarnent n’ont pas tord, d’avoir une opinion prônant plus ou moins le laisser-faire ou entretenant le flou sur ces sujets.
Tant est si bien qu’aujourd’hui, à l’aube de notre propre élection, lorsqu’il était demandé aux candidats à la présidentielle de 2017 de donner le nom de celui ou celle qu’ils souhaiteraient voir porter à la maison Blanche, la réponse la plus courante pourrait se résumer ainsi : « Je ne suis pas électeur américain », quand les candidats les plus extrémistes disent « Trump est une évidence ».
En Iran, l’actuel président Hassan Rohani a été très clair : « entre la peste et le choléra, vous choisiriez quoi ? ».
Le monde selon Hillary
Que voulait-il dire par là ? Que le seul choix d’Hillary Clinton est un vote de raison et non de passion ? Celle qui connaît les rouages des politiques américaines par cœur n’a pas réussi à créer d’espoir dans toutes les couches sociales américaines. On aurait pu dire que l’accession d’une femme au poste de président de la première puissance mondiale était une avancée pour « la femme » en général, mais non. D’espoir il n’y a pas puisque le profil de l’ex First Lady divise tout autant.
Hillary Clinton a été la théoricienne de la politique étrangère du premier mandat de Barack Obama. Elle a été à ses côtés lors de la capture d’Oussama Ben Laden, elle a planifié l’intervention en Libye. Avant cela, elle avait apporté une voix décisive à l’invasion de l’Irak en 2003. À l’inverse, elle n’est pas à l’initiative du rapprochement des États-Unis avec Cuba et l’Iran.
Ses croyances religieuses la portent vers un interventionnisme aux faux airs de mission civilisatrice. Elle est, à la différence d’Obama qui est proche du courant des réalistes en relations internationales, un faucon libéral (liberal hawks).
Rêvons-nous vraiment du monde selon Hillary ?
Pour l’heure, les bureaux de vote ont fermé, les premiers résultats sont tombés, et les urnes ont parlé. Donald Trump est donné gagnant.
Nous autres Français allons nous réveiller et découvrir ces résultats. Pour beaucoup nous serons horrifiés, pour d’autres ce vote libérera, mais tous nous serons téléspectateurs d’un show qui nous tient depuis des mois en haleine, une complaisance nous rendant coupables de nos omissions et du plaisir que nous y prenons.
Au fait Trump est-il la peste où le choléra ?
— Notes de la rédaction —
Notre article a été publié dans une version amendée pour cause de résultats définitifs par le Huffington Post France : huff.to/2ekiewo