La politique portugaise est un de ces jeux de pouvoir auxquels peu de commentateurs prêtent intérêt. Pourtant, les élections législatives d’octobre dernier nous ont offert un spectacle inattendu. « 11 dias, 5 horas e 40 minutos » auront suffi pour qu’une grave crise politicienne s’empare du pays. Un record.
Alors que le 24 janvier prochain, le pays cherchera à se doter d’un nouveau chef de l’État, quels sont les défis qui attendent aujourd’hui cet élève discipliné de la classe européenne ?
Retour sur les élections de l’Assembleia da Repúblicaque
Dimanche 4 octobre, les résultats sont sans appel :
#Portugal la coalition de centre droit du 1er Ministre Pedro Passos Coelho remporte les élections législatives mais perd la majorité absolue
— LaNouvelleChronique (@LaNouvelleC) 5 Octobre 2015
Si le président du Parti social-démocrate et Premier ministre sortant, Pedro Passos Coelho, est donné vainqueur avec 38,4% des suffrages, sa coalition perd 25 sièges et avec, la majorité parlementaire.
Invité à former un gouvernement de circonstance, le chef de la coalition de centre droit reprend les mêmes… et recommence. Enfin, à peu de chose près, puisque sur les 14 ministres que comptait son ancien gouvernement, 7 sont reconduits.
C’est Aníbal Cavaco Silva, Président Portugais aux commandes de l’État depuis 2006, qui nomme ce nouveau gouvernement le 30 octobre, sous les réprobations des partis de gauche (socialiste, communiste et bloc de gauche) majoritaires au parlement, mais exclus de toute coalition.
Um homem sem paciência é como uma lâmpada sem azeite (comprenez : La revanche des socialistes)
11 jours, 5 heures et 40 minutes plus tard (titre du quotidien Jornal de Notícias), une motion de censure, déposée par l’opposition pour contrer le programme gouvernemental, est votée par 123 voix contre 107. De fait, le 10 novembre au soir, le gouvernement est renversé et Pedro Passos Coelho perd sa charge de 118ème Premier ministre portugais, sur fond de rejet du pouvoir en place, et de remise en cause de l’autorité du Président.
C’est António Costa, chef de file socialiste qui prend la tête de l’exercice de l’État au matin du 24 novembre par un beau coup politique.
Opportunisme politique ou reflet de la volonté populaire ?
La victoire du Parti socialiste doit être attribuée à un opportunisme historique : une alliance forgée avec le clan anti-austérité qui regroupe le Bloco de Esquerda, le Partido Comunista Português et le Partido Ecologista « Os Verdes ». Un soutien vivement critiqué, à gauche comme à droite, ne le cachons pas. Pourtant, et alors que les portes du pouvoir s’ouvraient au Front de gauche, ces derniers ont accepté de laisser manœuvrer seuls les socialistes au gouvernement en échange d’inflexions sur le programme gouvernemental – preuve, s’il en faut, que l’opposition portugaise s’est construite, d’un côté, contre les mesures européennes issues de la crise économique de 2007, et de l’autre, contre son incarnation, le Partido Social Democrata au pouvoir depuis 2011.
Alors si António Costa affirme vouloir en finir avec la politique d’austérité du Portugal, le nouveau premier Ministre a toutefois été contraint de déclarer à l’AFP, le 13 octobre dernier, qu’il n’était pas le représentant d’un Syriza à la portugaise. Et pour cause, la bourse de Lisbonne, ayant déjà appréhendée la formation d’un gouvernement de gauche, se contractait le même jour de 3%, faisant resurgir quelques souvenirs des années 2010.
Une économie en berne depuis la mi-1990
Considéré, à l’époque, comme le deuxième maillon faible de la zone euro, le Portugal a subit de plein fouet la défiance des marchés financiers à l’encontre de la Grèce. Si sa dette publique n’était pas plus importante que celle de l’Allemagne, la dette extérieure portugaise était, elle, constitué de dettes bancaires accentuant un risque de déstabilisation du système bancaire. À cela s’ajoute un taux d’épargne national parmi les plus faibles d’Europe.
Comme le rappelait en 2011 Paul Krugman, le Portugal « n’a ni connu de bulle immobilière comme en Espagne ni laissé gonfler son secteur financier comme en Irlande. En revanche, il souffre d’une croissance atone depuis de nombreuses années, en raison d’un manque structurel de compétitivité« . En 2010, l’OCDE soulignait à cet effet que le Portugal avait perdu 20% de sa compétitivité depuis le milieu des années 1990, en cause notamment d’une industrie de basse technologie (ex : textile) devant faire face à la concurrence de pays non-européen à dont la main-d’oeuvre et la capacité de production en masse sont à moindre coût. Un manque a gagné non contrebalancée par le développement des services en hausse depuis les années 2005.
À noter également, l’impossibilité de proposer des biens de moyenne technologie aux pays émergents (Chine, Inde), alors en plein boom économique. Une situation faisant émettre de sérieux doute sur les capacités d’exportations du pays.
Tant est si bien qu’en 2011, le Portugal accepte un premier plan de sauvetage de 78 milliards d’€ du Fonds européen de stabilité financière et du FMI, impliquant en contrepartie l’application de mesures d’austérité drastique : hausse des prix des transports, de la TVA sur le gaz et l’électricité, les produits de consommation primaire et la restauration, non-remplacement d’un départ en retraite sur deux, réduction des salaires des fonctionnaires de 5% pour ceux percevant un salaire supérieur à 1 550 euros par mois, suppression des 13ème et 14ème mois etc… D’autres plans suivront mais toujours avec le meme objectif : réduire le déficit public de 9,8 % en 2010, à environ 3 % en 2016.
Adeus austeridade ?
Bilan à un an du terme, cet élève discipliné de la classe européenne, a su, avec l’aide de prêt de la Troïka (BCE, Commission européenne et FMI), réduire son déficit public de 3,6% du PIB. Mais ces bons résultats ne suffisent pas à contenter l’opinion publique. En faisant tomber le gouvernement, António Costa ne le sait que trop bien. D’ailleurs, son programme gouvernemental entend prendre l’exact contrepied de la politique d’austérité menée depuis quatre années sur demande des institutions financières : réduction des charges sur les revenus les plus faibles, réindexation des retraites inférieures à 628 euros sur l’inflation, dégel des salaires des fonctionnaires, diminution de la TVA dans la restauration… Mais comment António Costa compte-t’il financer ces mesures ? Et bien en demandant un nouveau plan de 78 milliards d’euros à la Troïka.
À la fin, puisque l’on vous dit que le Partido Socialista n’est pas Syriza.