Le crash de l’Airbus A321 Metrojet le 31 octobre dans le Sinaï égyptien a provoqué une crise complexe pour le gouvernement du Caire. Soulevant des questions relatives à des enjeux sécuritaires, économiques et diplomatiques, la communication autour de cette crise faisait partie intégrante de la gestion de ce tragique événement. Retour sur la stratégie déployée par le gouvernement égyptien.
Une crise dont les contours se sont révélés très rapidement
Depuis quelques semaines, plusieurs hypothèses ont été soulevées par les journalistes et les experts, en attendant les informations issues des boîtes noires. Rapidement, le gouvernement égyptien, premier concerné, s’est montré très prudent en faisant comprendre qu’il ne se prononcerait qu’une fois les résultats définitifs de l’enquête connus. Une prudence justifiable, du moins dans un premier temps de la gestion de crise.
Le soir même du crash, le groupe Wilayat Sinaï, la branche égyptienne de l’Etat islamique, revendiquait l’attentat par Twitter, son canal officiel. Une information à prendre au sérieux, car l’Etat islamique n’a pour le moment jamais revendiqué d’attentat sans en avoir été à l’origine. Une réaction était alors attendue de la part de l’Egypte, qui en plus de figer sa communication de crise, en a même profité pour balayer la revendication terroriste.
L’Egypte enfermée dans son déni
Vendredi 6 novembre, soit moins d’une semaine après le crash de l’Airbus, l’analyse des boîtes noires permettait de confirmer l’hypothèse d’une explosion en vol comme origine du crash de l’avion dans le Sinaï, hypothèse déjà grandement privilégiée par tous les acteurs concernés, dont Vladimir Poutine.
Reste alors que les autorités du Caire, de plus en plus isolées, ont refusé d’évoquer l’attaque terroriste. Une communication tristement illusoire, manquant de pragmatisme et de transparence à l’égard des nations et de la population égyptienne. Un certain aveuglement qui peut s’expliquer par des enjeux d’image importants, à l’heure où le gouvernement égyptien garde en tête les conséquences d’un attentat comme ceux du Bardo et de Sousse en Tunisie. A moyen terme, la posture de l’Egypte pourrait ressembler à celle du gouvernement tunisien lors de la tuerie de Sousse, qui avait choisi de nier la multiplication des réseaux djihadistes, notamment dans le sud du pays. Une stratégie qui a vraisemblablement aggravé la situation, au regard des derniers chiffres du tourisme en Tunisie.
L’illusion comme espoir économique
L’annonce de la suspension des vols de la Grande-Bretagne vers l’Egypte (la compagnie Easyjet a prolongé l’annulation de ses vols jusqu’au 6 janvier), puis du rapatriement de milliers de russes dans le Sinaï, sont deux signes forts que ces pays ont envoyés au Caire. Le manque d’anticipation du gouvernement, base d’une communication de crise efficace, accentue alors un peu plus l’impact négatif de ces décisions.
L’enjeu économique lié au tourisme est le point d’ancrage de la stratégie de communication du gouvernement égyptien. Développée autour du déni de l’attentat terroriste, elle vise ici à préserver l’image du pays comme destination touristique : l’accident provoqué par une défaillance technique effraiera inévitablement moins les touristes que l’attentat organisé dans leur région de prédilection par Daesh (3 millions de russes se sont rendus en Egypte l’année dernière).
Rappelons d’ailleurs que c’est le président Sissi lui-même qui avait communiqué pro-activement et régulièrement sur la nécessité de combattre le terrorisme sous toutes ses formes afin de permettre à l’Egypte d’organiser son futur. On comprend un peu mieux en quoi la volonté des autorités de verrouiller les messages, non plus pro-activement mais en réaction aux nouvelles informations, est destinée à limiter sa perte de crédibilité.
Se mobiliser à communiquer et communiquer sur la mobilisation
Pour être efficace, une communication de crise vise à montrer aux yeux de tous, population locale et partenaires internationaux, une mobilisation générale. Une mobilisation qui doit permettre de prendre acte des défaillances actuelles pour les corriger afin de prévenir les risques futurs : revoir les systèmes de sécurité des grands espaces touristiques, coordonner la sécurité au niveau local avec l’appui de gouvernement voisins ou intensifier la lutte contre le terrorisme en déployant des forces armées dans les régions concernées sont autant de leviers de communication qu’il est nécessaire de déployer afin de rassurer touristes et égyptiens.
Inévitablement, ce drame aura des conséquences sur les recettes touristiques d’un pays comme l’Egypte, qui a déjà vu ses visiteurs passer de 14 millions en 2010 à moins de 9 millions en 2014. Isolée dans son déni, intensifiant la colère au sein de sa propre population, l’Egypte a sans aucun doute perdu la guerre de la communication contre Daesh. A travers un aveuglement volontaire et son manque de transparence dans sa communication, l’Egypte a clairement subi l’attaque de l’organisation terroriste. En touchant le tourisme, secteur extrêmement important pour l’économique du pays, l’Etat islamique atteint ici l’un de ses objectifs prioritaires : semer le trouble et installer le chaos dans un pays fragile.