Peut-être l’avez-vous manqué, mais ce mardi 20 octobre, en marge du World Zionist Congress, le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, a tenu quelques propos irresponsables, voire dangereux.
Les voici : « Hitler ne voulait pas exterminer les Juifs, il voulait seulement les expulser. Mais le grand mufti de Jérusalem, Hadj Amin Al-Husseini a rencontré Hitler et lui a déclaré : ‘Si vous les expulsez tous, ils vont tous venir ici’. ‘Alors, que dois-je faire d’eux ?’, aurait demandé Hitler. ‘Brûlez-les’, aurait répondu le mufti’ »[1].
Cette sortie médiatique du leader du Likoud, si elle est grave, tend à bafouer la réalité historique de la Shoah. Erreur chronologique, pire un déni de l’histoire, dont les conséquences, dans une région déstabilisée par les mouvements fondamentalistes religieux et l’animosité entre les peuples israélien et palestinien, peuvent être irréparables.
Remettons ses propos dans leur contexte historique.
Nationaliste, conservateur et judéophobe, oui, mais exterminateur non.
Pour ceux qui ne le sauraient pas, Hadj Amin Al-Husseini (Mohammed Amin al-Husseini – Hadj désignant, dans la tradition musulmane, celui qui a effectué le pèlerinage de la Mecque) fut Président du Conseil musulman suprême de la Palestine mandataire (c’est à dire sous mandat britannique[2]) et Grand mufti[3] de Jérusalem de 1922 à 1937. Instigateur de la Grande Révolte Arabe[4] contre l’instauration d’un foyer national juif en Palestine, il a ouvertement soutenu la politique de l’Allemagne nazie et fut, à ce titre, proche des cercles fermés du Führer.
Toutefois, sur le rôle joué par Al-Husseini dans l’extermination du peuple Juif d’Europe, les historiens sont formels, cet événement est empreint de tant d’incertitudes, qu’il devient particulièrement présomptueux d’affirmer qu’il y participa « directement ou indirectement » [5].
Bien qu’informé de sa mise en place, et de sa probable approbation face à un tel procédé, Al-Husseini n’est pas responsable désigné comme l’entend Benyamin Netanyahou.
Car à n’en pas douter, la « solution finale », qui désigne l’extermination « physique systématique et délibérée des Juifs européens »[6], est le point culminant d’une succession de décisions politiques répressives mises en place dès 1939 avec la création des troupes Einsatzgruppen[7] dans la continuité de l’invasion de la Pologne la même année[8], avant d’être parachevée par une demande explicite formulée par Hermann Göring, dans une lettre datée du 31 juillet 1941, à Reinhard Heydrich, lui ordonnant de « prendre toutes les mesures préparatoires nécessaires (…) pour obtenir une solution totale de la question juive ». Une décision faisant suite à l’opération Barbarossa[9] et qui fut entérinée à la conférence de Wannsee du 20 janvier 1942.
28 novembre 1941 : Hitler rencontre le Grand Mufti
Alors, lorsque Benyamin Netanyahou, lui-même fils d’un historien israélien internationalement respecté[10], accuse Hadj Amin al-Husseini d’avoir soumis, lors d’une rencontre à Berlin le 28 novembre 1941, l’idée de l’extermination des Juifs à Adolf Hitler, force est de constater nos regards de commentateurs perplexes devant une telle absurdité. Déjà parce que ce rendez-vous est chronologiquement postérieur à la mise en place de la solution finale, et ensuite car les nombreuses retranscriptions de cette entrevue n’en ont jamais fait mention[11].
Une remarque toutefois : quelle folie lui a pris de déformer ainsi l’histoire ?
Ce n’est pourtant pas la première fois que Netanyahou tient de tels propos. En 2012, déjà, devant une Knesset abasourdie, Benyamin Netanyahou avait mentionné Al-Husseini comme « l’un des principaux architectes clefs » de la solution finale[12].
« Il s’agit d’une dangereuse distorsion de l’histoire »[13]
Il aura fallut attendre les réactions de ses opposants politiques, et de quelques dirigeants internationaux, pour que Benyamin Netanyahou revienne sur ses propos, précisant qu’il n’avait pas « l’intention d’absoudre Hitler de la responsabilité de la destruction diabolique de la communauté juive européenne. Hitler a été le responsable de l’extermination de la solution finale de six millions de Juifs, c’est lui seule (qui) a pris la décision ». Avant de laisser échapper qu’il serait « tout aussi absurde d’ignorer le rôle joué par le Mufti, un criminel de guerre (…) le Mufti a joué un rôle dans la décision d’exterminer les Juifs d’Europe ».
Cette déclaration, particulièrement mal venue quelques heures avant une rencontre déterminante au sujet des violences au Proche-Orient à Berlin entre John Kerry, Angela Merkel et Benyamin Netanyahou, n’a pas laissé insensible du côté allemand, obligeant Steffen Seibert, porte-parole de la chancelière allemande, de rappeler la responsabilité de l’Allemagne dans la Shoah : « Tous les Allemands connaissent l’histoire meurtrière des nazis qui a mené à l’holocauste (…). C’est enseigné dans les écoles pour une bonne raison, cela ne doit jamais être oublié. Il n’y a pas de raison de changer notre point de vue de l’histoire » avant d’ajouter, « Nous savons que nous sommes responsables de ce crime contre l’humanité ».
Si les propos de Benyamin Netanyahou sont particulièrement outranciers, de telles allégations survenant dans une période terrible de l’histoire du conflit israélo-palestinien – rappelons-le, nous parlons d’une 3ème intifada, autrement nommée guerre des couteaux – peuvent laisser craindre à des regains de tensions entre des populations particulièrement exposées aux dérapages médiatiques de leurs dirigeants.
Car dans ce conflit qui n’a que trop duré, nous attendons des dirigeants des états de Palestine et d’Israël, d’être exemplaires, et l’utopie religieuse voudrait ici qu’ils montrent la voie à leur peuple.
Alors finalement sur ce sujet, Monsieur Benyamin Netanyahou, quel avenir pour les peuples israéliens et palestiniens ?
[1] Hitler Didn’t Want to Exterminate the Jews, Benyamin Netanyahou, 20 octobre 2015
[2] Le mandat vise à « placer le pays dans des conditions politiques, administratives et économiques qui permettront l’établissement d’un foyer national juif et le développement d’institutions d’autogouvernement [et doit] faciliter l’immigration juive et encourager l’installation compacte des Juifs sur les terres », comme conclu lors de la conférence de San Remo du 19 au 26 avril 1920, entre le Royaume-Uni, la France, l’Italie, la Grèce, la Belgique et le Japon.
[3] Mufti désigne la position d’un érudit musulman qui a l’autorité pour interpréter la loi religieuse. Il s’agit d’une fonction du courant sunnite qui trouve son équivalent chez les chiites en la personne du Mollah.
[4] Mouvement insurrectionnel de 1936 à 1939, demandant la fin du mandat britannique sur le territoire palestinien.
[5] Ben Caspit, לא עוד פליטת פה: האמירות של נתניהו
יפגעו בכולנו, Maariv.co, 22 octobre 2015
[6] La conférence de Wannsee et la « solution finale », Encyclopédie multimédia de la Shoah, United States Holocaust Memorial Museum, Washignton DC, traduction faite par le Mémorial de la Shoah de Paris.
[7] Unités mobiles du IIIème Reich en charge de la politique d’exécution des prisonniers et, à partir de 1941, d’extermination des Juifs, par arme à feu ou par camions à gaz.
[8] La « Solution Finale », Encyclopédie multimédia de la Shoah, United States Holocaust Memorial Museum, Washignton DC, traduction faite par le Mémorial de la Shoah de Paris.
[9] L’opération Barbarossa fait référence à l’invasion de l’Union soviétique par l’Allemagne nazie le 22 juin 1941.
[10] Il s’agit de Benzion Netanyahou, spécialiste de l’histoire juive.
[11] Procès-verbal de la rencontre Hitler/al-Husseini
[12] Netanyahu : « Hitler ne souhaitait pas exterminer les juifs », 21 octobre 2015, Le Point.fr
[13] (…) et je demande à Netanyahu de la corriger immédiatement étant donné qu’elle minimise l’Holocauste, le nazisme et… la responsabilité d’Hitler dans le terrible désastre qu’a subi notre peuple. Même le fils d’un historien doit être précis lorsqu’il s’agit d’histoire », Isaac Herzog, le chef de l’opposition travailliste, sur sa page Facebook.