A l’instar de bien des pays, la gouvernance du Pakistan se conjugue fréquemment avec les affaires de corruptions. L’imposition de la loi est souvent malmenée par la corruptibilité des agents gouvernementaux et de la police. La réception des pots-de-vin pour des petits services est courante et considérée comme légitime. Le système judiciaire doit être vu comme dépendant et protégeant les pratiques corruptives. La corruption existe dans toutes ses formes et à toutes échelles, du niveau local jusqu’au plus haut niveau du Gouvernement fédéral pakistanais.
La corruption, un obstacle majeur au développement
Les gouvernements successifs n’ont pas réussi à mettre un terme à la corruption car la grande majorité de la classe politique est partie prenante de ce système, mais aussi parce que cette pratique s’est progressivement institutionnalisée.
Selon le Transparency Index de 2014, le Pakistan se trouve en 126e position, laissant 49 pays derrière lui. Depuis 1995, date à laquelle il a intégré cet index, le pays a toujours été parmi les mauvais élèves, avec des implications dans tous les secteurs politiques, économiques et juridiques. Selon l’index de la Banque Mondiale, le Pakistan a également un très mauvais résultat en termes de stabilité politique et de corruption. Le Worldwide Governance Indicators (WGI) de la Banque Mondiale montre qu’aucun progrès n’a été fait depuis les années 1990 à l’égard de la lutte contre la corruption, bien au contraire.
Pour mieux comprendre la corruption dans le pays, il faut distinguer la « petite corruption », celle qui s’observe au quotidien, de la « grande corruption » impliquant une organisation politique de grande ampleur.
La « petite » corruption est un fait régulier. L’accès aux services publics se fait très souvent par un paiement «supplémentaire » sans lequel la bureaucratie refuse de coopérer. Nombreux sont les cas où les citoyens doivent payer pour simplement passer un point de contrôle de la police ou pour avoir accès à l’électricité.
La « grande » corruption est surtout un phénomène du secteur politique, économique et juridique. L’implication quasi totale de l’armée dans l’économie du pays abouti à la répartition systématique des contrats de commerce faisant de l’investissement économique un outil propre à la corruption. Les militaires décident de la provenance des investissements et du secteur dans lequel il s’opère. Ainsi, le développement économique du pays dépend logiquement des décisions de l’armée.
Un outil politique du Pouvoir
Le système judiciaire aussi souffre de la corruption au quotidien. Les contrats accordés par le Gouvernement doivent, en dernière instance, passer devant la Cour. Évidemment, ce système d’attribution compétitive ouvre la possibilité d’une corruption à grande échelle.
Même le gouvernement semble pénétré par la corruption. Ainsi, le Président Zardari en a largement été soupçonné. Dans les années 1990, il possédait un compte bancaire secret en Suisse et aurait du être condamné par les autorités helvétiques. Néanmoins, cette affaire fut suspendue à cause de sa présidence pakistanaise.
Ces dernières années, le Gouvernement pakistanais a officiellement lancé une politique anti-corruption. En 2002, une nouvelle stratégie est présentée : la National Anti-Corruption Strategy (NACS) dont la conduite est confiée au National Accountability Bureau (NAB). Cependant, les résultats sont très limités et le Gouvernement ne montre pas un intérêt particulier pour de nouvelles reformes contre la corruption. Cela signifie également que les cas de corruption démasqués ne donnent que rarement lieu à des poursuites judiciaires, du moins si celles-ci venaient à viser l’establishment du pays, à une exception : l’opposition politique se voit souvent confrontée aux procédures pénales pour corruption. Ainsi, les hommes au pouvoir essaient de se débarrasser de leurs adversaires, comme ce fut le cas avec la famille Sharif. L’ancien Premier Ministre Sharif et sa famille furent accusés de corruption et se trouvèrent contraint de renoncer leurs ambitions pour les élections en 2013. Un autre exemple de cet usage politique de la lutte contre la corruption est la démission de l’ancien chef de la Cour Suprême, Iftikhar Muhammad Chaudhry en 2007. Le Président Musharraf en personne l’accusa de corruption après que Chaudhry ait refusé de se démettre volontairement de son poste. Cela causa une crise institutionnelle du pays durant laquelle Musharraf a perdu beaucoup de soutiens au sein des institutions judiciaires.
La corruption reste donc une pratique courante, voire institutionnalisée dans un certain nombre de situations. Elle peut aussi être le levier d’enjeux de pouvoirs importants, que ce soit par sa pratique ou dans les tentatives d’éradication.
Le cas spécifique de l’armée, une main de fer dans un gant d’or
Comme vu dans la première partie de ce dossier sur le Pakistan[1], l’armée est un des acteurs centraux de la gouvernance du pays et de son développement. Sur le plan économique, elle a infiltré l’ensemble des secteurs pakistanais. Cherchant initialement à protéger, puis à étendre, son autonomie d’action face aux civils, l’armée a progressivement mis en place un système de défense de ses intérêts qui s’apparente, de nos jours, à un véritable lobby économique. Lobby d’autant plus écouté par l’élite qu’il dispose également du contrôle de l’appareil répressif. L’influence politique des militaires, acquise au gré des coups d’états successifs, a servi de socle à un empire commercial et financier pour le moins opaque. Alors qu’elles bénéficient discrètement des subventions de l’Etat, les « entreprises militaires » n’ont pas à se plier aux principes de responsabilité financière et autres procédures de contrôle auxquelles doivent se soumettre l’ensemble des autres entreprises publiques ou privées. L’armée Pakistanaise est un acteur économique de poids et semble même être, paradoxalement, l’acteur économique non-étatique le plus puissant.
L’interventionnisme militaire pakistanais opère à trois niveaux distincts. D’abord, on peut identifier les entreprises à la direction desquelles on trouve des militaires toujours en activité, tels que l’on peut le retrouver dans les modèles chinois ou indonésien. Ce niveau regroupe principalement trois grandes entreprises. La Frontier Works Organization à laquelle la majeure partie des contrats de construction civile sont attribuées ; vient ensuite la National Logistics Cell qui est la plus puissante société de transports et qui est également chargée de la collecte des péages d’autoroute (elle participe aussi à de grands projets de construction attribués par l’état) ; enfin la Special Communications Organization qui s’occupe des télécommunications et autres systèmes d’information.
Le deuxième niveau opérationnel concerne les cinq grandes filiales dirigées par des officiers supérieurs. La plus importante est la Fauji Foundation administrée par le Ministère de la Défense. Elle était initialement consacrée à la gestion des services sociaux des trois armées (soldes, pensions, fonds de placement). Mais il regroupe maintenant un ensemble d’entreprises opérantes dans des domaines variés. Fauji Cement pour le bâtiment (souvent favorisée dans l’attribution de contrats publics), la Fauji Kabirwala Power Plant qui est l’une des plus importantes centrales électrique du Punjab, Fauji LPG spécialisée dans l’extraction et le conditionnement de gaz naturels, ou encore Fauji Fertilizer, spécialisée dans la production d’engrais et de fertilisant agricole.
Le troisième niveau est le plus opaque. Il octroie aux membres de l’armée des profits, ainsi qu’un confort nettement supérieur à la moyenne nationale. Il concerne la répartition des avantages immobiliers, sociaux et fonciers. Des officiers reçoivent de l’Etat, à titre de retraites ou d’avantages sociaux, des terres agricoles, de terrains en ville, ainsi que d’autres avantages en nature. Ce réseau permet également de trouver des emplois dans le civil. Il gère aussi l’exploitation du patrimoine foncier de l’armée. Le Military Farms Group Okara est le principal organe de gestion du patrimoine foncier destiné à l’agriculture que possède l’armée Pakistanaise.
Le Pakistan n’est malheureusement pas une exception dans l’institutionnalisation des pratiques de corruptions. Quelles concernent le citoyen lambda ou des pans entiers de la société, elle est progressivement devenue la norme dans de nombreuses situations. En plus d’asseoir la domination d’une élite souvent bénéficière (directement ou indirectement) de ces pratiques, elle ralentit considérablement le développement social et économique du pays. La conséquence la plus saillante reste celle de l’armée à s’autonomiser du pouvoir politique et à se constituer comme acteur incontournable de la vie économique du pays. Désormais dotée d’une importante capacité financière propre, le bras armé de l’Etat pakistanais est plus que jamais susceptible d’agir selon un agenda et desseins qui lui sont propres.
——– Notes de bas de page –——
[1] Frédéric Geney, Pakistan : entre coups d’état et aspiration démocratique, une armée acteur du jeu politique, 16 mars 2015, LaNouvelleChronique.com