Fleuron de l’armée de l’air française, le Rafale est ce petit bijou de prouesses technologiques que beaucoup de pays nous envient. Et pourtant, lancé en 2001, cet avion de combat n’a pas de suite connu les heures de gloire qu’on lui prédisait.
Alors que le 4 mai dernier, François Hollande officialisait la vente de 24 avions Dassault à l’émirat Qatari, retour en images sur le programme ACX, la naissance du Rafale et les premiers échecs commerciaux.
Au départ, un projet européen
À la fin des années 1970, la France, la RFA et le Royaume-Uni possèdent chacun une flotte militaire aérienne vieillissante. Ce constat est d’autant plus flagrant qu’en face, les États-Unis sont équipés de leur fameux F-15 et F-16 quand l’armée soviétique dispose, elle, de MiG-29 et Su-27.
Le SEPECAT Jaguar est un avion militaire de conception franco-britannique.
L’armée française cherche à explorer un nouveau concept afin de prévoir le remplacement du SEPECAT Jaguar qui l’équipe.
De cette volonté de modernisation du parc militaire né un projet industriel commun visant à accomplir « deux types de missions, pénétration et appui tactique d’une part, supériorité aérienne d’autre part, (…) se traduisant par la nécessité de disposer d’un avion très manœuvrant, doté de grandes capacités d’emport, d’un système d’armes polyvalent et d’un moteur ayant une faible consommation kilométrique et une forte poussée spécifique »[1].
Trois champions européens prennent part au projet. Il s’agit des entreprises industrielles française AMD-BA (Avions Marcel Dassault-Breguet Aviation), anglaise British Aerospace et allemande MBB (Messerschmitt-Bölkow-Blohm).
Un projet d’envergure aux périmètre bien délimités, censé répondre aux restrictions budgétaires imposées aux programmes militaires de ces pays européens. Et pourtant, si le projet est ambitieux, les industriels ne s’entendent pas sur les critères de construction des moteurs de l’appareil. Trois prototypes seront alors développés pour répondre aux exigences françaises, anglaises et allemandes.
Ainsi, en 1980, au salon ILA d’Hanovre, les français d’AMD-BA présente l’« Avion de Combat Tactique 92 » et les allemands le « Taktisches Kampf Flugzeug-90 ».
En 1982, c’est au tour des anglais de proposer l’« Agile Combat Aircraft » (ACA) emmené par le consortium Panavia (British Aerospace, MBB et Aeritalia) au salon de Farnborough.
À la fin, une réalisation française
Le potentiel économique offert par cette nouvelle construction est tel qu’il devient évident pour les constructeurs de développer leur propre expérimentation. C’est en partant de ce constat qu’en 1983, le Ministre de la Défense française, Charles Hernu, lance le programme ACX (Avion de Combat eXpérimental). À la faveur d’une entente négociée entre les britanniques et la France, c’est AMD-BA qui sera chargé de sa conception. Une victoire pour le constructeur.
L’armée française veut alors un avion polyvalent capable de remplacer pas moins de 7 types d’avions chasseurs tel que le Jaguar, le Crusader, le Mirage F1, le Mirage 2000 et l’Etendard ou encore le Super-Etendard.
Pour cela, le projet ACX doit remplir un cahier des charges strictement rigoureux. « Performances élevées en supériorité aérienne, distances d’atterrissage courtes et capacité à effectuer soit des missions de supériorité aérienne, soit des missions de pénétration ». Autant d’exigences qui nécessitent des innovations particulières :
– « le recours à grande échelle aux matériaux composites[2]
– l’utilisation de commandes de vol numériques,
– une augmentation significative de l’inclinaison du siège du pilote (32°) pour améliorer la tolérance aux facteurs de charge élevés, associée à de nouveaux concepts d’interface pilote-système,
– un système avionique fortement intégré, organisé autour d’une ligne d’échange numérique bidirectionnelle et d’un cœur centralisé »[3].
Les choix relatifs à la partie motorisée semblent en revanche plus indécis. La France propose le M 88 développé par la Snecma, quand l’Angleterre souhaite la participation de Turbo-Union. À ce sujet, des mésententes entre industriels se vont jour, et finalement, la France annonce en 1985 son retrait définitif du projet européen European Staff Target for a European Fighter Aircraft (EST-EFA) pour lancer son programme Rafale.
Le développement et les premiers essais
En lançant en 1978 le projet ACX, le Rafale doit pouvoir répondre aux besoins de l’armée de l’air et de la marine nationale.
- Le démonstrateur – Rafale A :
Sorti d’usine le 14 décembre 1985, le Rafale A est équipé de deux turboréacteurs General Electric F404-GE-400 et d’un turboréacteur SNECMA M88-2. Son vol inaugural se déroule le 4 juillet 1986. Il y a 29 ans donc. De nombreux suivront, 460 exactement, le temps de définir une nouvelle configuration pour l’appareil (notamment pour les différentes approches d’appontages)[4].
À son retrait en janvier 1994, le Rafale A totalise 867 vols, et laisse place à 5 modèles prévus pour couvrir tous les domaines d’activités envisagés pour l’appareil : deux monoplaces et un biplace air, deux monoplaces Marine.
Finalement 4 prototypes aboutiront vraiment, les Rafales C, B, M01 et M02.
- Rafale C (pour chasseur) et B (pour biplace) :
Tous deux développés pour l’armée de l’air, ils répondent à une demande particulière du Ministère de la défense, à savoir, embarquer un radar discret (ce qui lui vaudra au début appellation de Rafale D – pour discret). Leurs missions visent tout d’abord à garantir la bonne percussion des moteurs incorporés (Snecma M88) et d’optimiser le domaine de vol. Si les premiers tests sont réalisés dès 1988, le premier vol du Rafale C s’effectuera le 19 mai 1991, alors que le Rafale B est inauguré le 30 avril 1993.
Information d’importance majeur, ces prototypes permettent aussi d’évaluer le Système de Protection et d’Évitement des Conduites de Tir du Rafale. Cet instrument de contre-mesure, aussi appelé SPECTRA, fabriqué par Thales et MBDA, équipe aujourd’hui les Rafales et sert notamment de détecteur missiles infra-rouge et laser, de leurre électromagnétique, ou encore de brouilleur radar.
- Le Rafale Marine :
Pour remplacer le Crusader, l’Étendard IVP et le Super-Étendard, est décliné en deux versions, les Rafale M01 et M02. Le M01 effectue son premier essaie le 12 décembre 1991 et servira de phase d’expérimentation pour les calculs d’appontages et de catapultages. Le M02 est lui lancé pour la première fois le 8 novembre 1993. L’enjeu est de taille, puisque ces avions de chasses doivent pouvoir s’envoler et atterrir sur la courte distance qu’offre les pistes de porte-avions. Dans un premier temps, le porte-avions Foch est retenu pour réaliser les essaies d’appontage, mais vendu à l’Argentine, c’est le Charles de Gaulle qui servira de test des trains d’atterrissages Messier-Bugatti-Dowty.
La production est finalement lancée à grande échelle dès 1994, et les premières livraisons pour le compte de l’armée française arrivent en 2000.
Durant 20 ans, l’industrie militaire française est animée par un projet ambitieux et innovant.
Pourtant aujourd’hui, face à la concurrence de l’Eurofighter Typhoon, qui regroupe l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et l’Autriche, et celle du F-35 de l’américain Lockheed Martin, le Rafale est un objet de prestige et de luxe. Souvent jugé trop coûteux, c’est d’abord une pluie d’échecs commerciaux qui s’abat sur l’avion chasseur.
Un coût final exorbitant et des résultats commerciaux terriblement décevants
L’histoire commerciale du Rafale ressemble étrangement à celle du jeune diplômé en recherche de son premier poste avant de lancer sa longue et talentueuse carrière : « si personne ne m’en offre l’opportunité, je n’aurai jamais cette première expérience qui me fait tant défaut ».
En 2002 ce sont les Pays-Bas qui refusent sa candidature, puis la Corée du Sud la même année, Singapour en 2005, le Maroc en 2007, la Grèce en 2008, la Libye et les Émirats Arabes Unis en 2008, et enfin le Brésil en 2010.[5]
Dès 2011 on pouvait craindre le pire. Concourant en Suisse pour remplacer la flotte vieillissante de l’armée helvétique, le Rafale se retrouve confronté au Gripen NG, avion de chasse suédois du constructeur Saab. Beaucoup moins performant que son homologue français, il a pour particularité d’être moins cher et plus expérimenté en terrain hostile. Conclusion, le Rafale est out alors que sur le papier, tout le produit était meilleur.
Ironie du sort, après le plébiscite de ces cantons, les électeurs suisses ont refusé à 53,4% à l’achat des 22 avions de combat suédois. Pas de vente pour le Rafale, pas de vente pour le Gripen non plus.
À l’époque, le Ministre de la Défense, Gérard Longuet, estime que « faute de client, le programme Rafale pourrait s’arrêter une fois l’armée française totalement équipée »[6]. Et ce questionnement apparait compréhensible alors qu’un mois plus tôt le Rafale essuyait un nouveau revers en Inde.
Crise pour le Rafale donc, car le schéma est toujours le même. En pole position, lors des négociations, le prix de l’appareil s’avère toujours trop élevé. Il semble pourtant évident, et quand bien même chacun puisse reconnaître ses capacités technologiques extraordinaires, que ces pays potentiellement acheteurs sont autant touchés par la crise économique et les contraintes budgétaires, que la France.
Le Rafale est-il se produit d’un autre temps, pensé à l’horizon 2000 et pour qui les mauvaises augures se sont abattues ? Celui qui se retrouve au mauvais endroit, au mauvais moment ?
En 2013, le Rafale est en course pour remporter l’appel d’offre émis par le gouvernement brésilien. Le 18 décembre de la même année, le ministre de la Défense brésilien, Celso Amorim, annonce la victoire du suédois Gripen NG sur le Rafale. Comme le résumera le Ministre de la Défense, Jean-Yves le Drian, « le Gripen ne se compare pas au Rafale ». Pourtant, c’est bien lui qui remporte cette nouvelle manche. En cause une nouvelle fois, le prix de l’appareil, environ 25% supérieur à l’avion suédois.[7] Reste qu’à ce jour, le contrat avec le Gripen n’ait toujours pas signé.
La loi de programmation militaire en péril[8]
Pourtant, le mal qui guette le Rafale est bien réel. Si aucune décision n’est prise quant à l’avenir du programme estimait à 43,56 milliards d’euros pour l’État, une signature devient particulièrement nécessaire. En février 2015, la France reste le seul acheteur du chasseur, avec 137 livraisons sur les 180 officiellement commandés. Il faut noter que la loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019 prévoit de « limiter à 26 le nombre de Rafale livrés à l’armée française sur la période ».[9] Par conséquent, avec une cadence de 11 avions livré par an, l’industriel Dassault est contraint de signer un contrat juteux dans les prochaines années sous peine de voir son programme Rafale remis en cause.
« Ils ont sauvé le soldat Rafale »
C’est arrivé un matin du 16 février, après des négociations « éclaires », l’Égypte signe pour 24 Rafales. Ça a continué le 4 mai 2015, lors d’une visite de François Hollande à Doha au Qatar. Accompagné de ses Ministres Laurent Fabius et Jean-Yves Le Drian, le Président français assiste à la signature de deux contrats de ventes qui prévoient la livraison de 24 avions Dassault à l’émirat qatari, assorti d’une option de 12 exemplaires supplémentaires. Un beau « succès » venu à temps pour le Rafale. Un ouf de soulagement plutôt.
Alors on est maintenant on est en droit d’espérer que l’Inde, qui s’est engagé à acheter 36 chasseurs par la voix de son Premier ministre Narendra Modi, prolongera sa commande, initialement prévue à 126 appareils[10].
Et pour conclure ? Et bien pour conclure je vous laisse sur cette pensée :
Belle vente pour la France mais n’oublions pas que le #Qatar s’arme dans un contexte régional tendu http://t.co/hNRkDnLhc1
— Thomas A-C (@Thomas_A_C) 30 Avril 2015
——- Pour aller plus loin -——
Voir la construction d’un Rafale en accéléré : http://bcove.me/gs3e0f6r
——– Notes de bas de page –——
[1] Ouvrage coordonné par Jacques Bonnet pour le Comité pour l’Histoire de l’Aéronautique, Un demi-siècle d’aéronautique en France, les avions militaires, Tome II, Centre des hautes études de l’armement, Division Histoire de l’armement, 2007
[2] Fibres de carbone, titane, Kevlar et alliage aluminium-lithium
[3] Ouvrage coordonné par Jacques Bonnet pour le Comité pour l’Histoire de l’Aéronautique, Un demi-siècle d’aéronautique en France, les avions militaires, Tome II, Centre des hautes études de l’armement, Division Histoire de l’armement, 2007
[4] Musée de l’air + de l’espace, Dassault Prototype Rafale A F-ZWRE
[5] Romain Brunet, Le Rafale condamné à l’échec commercial ?, 25 juin 2014, La Voix de France.fr
[6] Dassault Aviation : Encore un échec commercial pour le Rafale, 13 décembre 2011, Capital.fr
[7] Florent Detroy, L’échec du Rafale est-il une chance pour l’Europe de la défense ?, 23 décembre 2013, Atlantico.fr
[8] Vincent Lamigeon, Pourquoi Dassault ne pouvait pas espérer vendre le Rafale au Brésil, 19 décembre 2013, Challenges.fr
[9] Romain Brunet, Le Rafale condamné à l’échec commercial ?, 25 juin 2014, La Voix de France.fr
[10] Alain Ruello, Rafale : un Bourget à la saveur spéciale, 12 juin 2015, Les Echos.fr