Lundi 11 mai 2015, le gouvernement américain a autorisé la compagnie pétrolière Shell à reprendre ses activités d’exploration en Alaska. Quelques mois après le veto de Barack Obama au projet Keystone XL, cette décision soulève de nombreuses interrogations et suscite la colère des organisations environnementales.
En 2012, la Royal Dutch Shell avait déjà obtenu le feu vert des autorités américaines pour procéder à des forages dans le Beaufort et la mer de Tchouktches. Mais une série d’incidents survenus lors du transport de plateformes avait finalement conduit la compagnie à renoncer à ses projets dans la région, peu avant la publication d’une enquête gouvernementale la mettant directement en cause[1].
Un détour par l’Histoire
Découverte en 1741 par Vitus Behring – un officier de marine danois au service de Pierre Le Grand –, l’Alaska fut placée sous le contrôle de la Compagnie Russo-américaine des fourrures en 1799. Moins d’un siècle plus tard, en 1867, le tsar Alexandre II décida de vendre ce territoire aux États-Unis sécessionnistes – qui représentent alors une moindre menace comparés à la France et surtout à l’Angleterre qui possède le Canada voisin – contre 7 200 000 dollars afin de répondre aux graves difficultés financières que rencontraient l’Empire. Porté par William Henry Seward, cet achat donna lieu à de sévères critiques aux États-Unis tant il fut considéré comme déraisonnable de dépenser une telle somme pour une région si reculée, inhospitalière et, de surcroît, peuplée seulement d’ours polaires.
Il faut attendre l’année 1891 pour que les premiers gisements pétroliers soient découverts sur ce territoire, plus précisément dans le Cook Inlet. Toutefois, c’est surtout l’or du Klondike qui suscite le plus de convoitises et déclenche, en 1896, une véritable ruée qui se poursuivra jusqu’en 1923. Vingt ans auparavant, c’est la pêche au saumon qui a occasionné le développement fulgurant d’une trentaine de conserveries. L’exploitation des ressources naturelles forme donc très précocement l’ethos de ces nouveaux arrivants qui y voient de multiples opportunités économiques. Mais cet engouement massif a néanmoins été freiné par l’apparition des premières alertes liées à la destruction de la vie sauvage. En 1893 intervient ainsi l’Accord sur la préservation des phoques du Pacifique qui constitue l’une des premières conventions de protection d’une espèce animale[2]. Le texte vise plus particulièrement à préserver les populations de phoques afin de respecter le mode de vie des peuples autochtones[3].
Ce n’est pourtant qu’en 1968 que le colossal gisement de Prudhoe Bay est découvert avant d’être mis en exploitation à partir de 1970. Toutefois, aux lendemains de la catastrophe du Torrey Canyon(1967) et dans un contexte marqué par l’émergence des préoccupations environnementales dans les pays occidentaux, la poursuite de ces projets a suscité de vifs débats autour des dangers liés à l’extraction de ressources fossiles dans des conditions si peu propices.
L’Arctique, une nouvelle opportunité énergétique
La fonte de la calotte glaciaire a dévoilé de nouvelles opportunités en Arctique. En effet, la réduction de la banquise a rendu possible la navigation par ce couloir maritime plus tôt dans la saison tout en permettant les forages pétroliers et gaziers dans cette région particulièrement riche en ressources fossiles. Dans un contexte de fortes incertitudes sur les gisements historiques, l’Arctique forme donc un enjeu majeur en matière énergétique.
Par voie de conséquence, l’accroissement des pressions internationales a abouti à la création, lors de la Déclaration d’Ottawa en 1996, du Conseil de l’Arctique. Composée de huit États-membres[4], cette arène mondiale réunit régulièrement tous les pays frontaliers de cet océan glacial polaire. Si l’ambition affichée demeure celle d’améliorer la gouvernance au sein de la région en veillant à la préservation de cet environnement fragile et au respect des populations autochtones, il n’en demeure pas moins que l’exploitation des ressources forme le cœur des ambitions territoriales de tous les pays frontaliers.
En d’autres termes, les États-Unis pourraient presque passer pour des retardataires… Rappelons ainsi qu’en décembre 2013, plusieurs militants de Greenpeace ont été emprisonnés en Russie pour avoir tenté d’aborder la plateforme Prirazlomnaya, propriété de la compagnie Gazprom. Peu auparavant, le Groenland a modifié sa Constitution afin d’autoriser l’exploration-production. En janvier 2014, la compagnie BP a ainsi obtenu ses premiers permis de forage. Le constat se révèle identique pour le Canada dont le Premier ministre, Stephen Harper, a notamment déclaré : « Ceux qui veulent voir l’avenir du pays doivent regarder vers le Nord ».
Dans cette partie qui se joue actuellement sur fond de rivalités énergétiques, il n’en demeure pas moins que des dynamiques coopératives devront être mises en place. Outre les problèmes relatifs à la souveraineté territoriale, les compagnies devront ainsi mutualiser leurs investissements tant il est vrai que ce type de production nécessite un déploiement de technologies coûteuses. En parallèle, elles devront aussi affronter les critiques exacerbées des organisations environnementales et assumer de lourds coûts, tant financiers que réputationnels, en cas de dommages causés à l’environnement.
——– Notes de bas de page –——
[1] Audrey Garric, « Après une série noire, Shell renonce à forer en Arctique en 2013 », LeMonde.fr, 28 février 2013
[2] Kiss Alexandre Charles, « La protection internationale de la vie sauvage », Annuaire français de droit international, 26, 1980, pp. 661-686.
[3] Guignier Armelle, Le Rôle des peuples autochtones et des communautés locales dans le développement durable : figurants ou acteurs?, Les Cahiers du Crideau n°11, Pulim, 2004, p. 23. [4] Le Conseil de l’Arctique compte actuellement parmi ses membres: Canada, États-Unis, Finlande, Islande, Fédération de Russie, Norvège, Danemark, Suède.