Si cette mauvaise blague semblait facile (et quand bien même je n’ai pu la lire ailleurs), elle n’en est pas moins révélatrice des résultats électifs quelques peu surprenants. Là où beaucoup de journalistes rappelaient les prises de positions désastreuses de « Bibi » Netanyahu sur le plan international (et ils ont eut raison), nombreux sont ceux qui ont occulté le bilan intérieur du leader du parti de droite.
Les deux sont pourtant essentiellement liés et permettent de comprendre, d’un côté la montée des revendications pacifistes de la part d’un peuple israélien exaspéré d’être le mauvais élève des relations internationales, et de l’autre la tendance conformiste d’une population qui, en 6 ans de pouvoir dans les mains du Likoud, a vu son niveau de vie nettement s’améliorer.
Si le nouveau gouvernement n’a pas encore été formé, il ne fait peu de doute sur son nouveau dirigeant. Benyamin Netanyahu se verra chargé par le président de l’État hébreu, Reuven Rivlin, de former un gouvernement d’union nationale pour « empêcher le démantèlement de la démocratie« .
La Knesset, place d’exercice du pouvoir israélien
Les négociations vont donc bon train depuis mercredi, date à laquelle les premiers résultats ont été rendus public. Le fameux Likoud arrive en tête avec près de 23,4% des voix, ce qui lui assure 30 sièges sur 120 à la Knesset (parlement israélien)[1]. En deuxième position, l’Union sioniste[2] emmenée par Yitzhak Herzog, grand rival de « Bibi » dans ses élections et qui se voit créditée de 18,6% des suffrages exprimés. Un bon point pour lui, il aura fait gagner près de 8% de vote à son parti en comparaison aux élections de janvier 2013. Un mauvais point aussi car ses 24 sièges obtenus ne lui donneront pas l’avantage sur le Likoud. Pire, il s’est vu obligé, par la bienséance politique, de souhaiter du bout des lèvres un « bonne chance » à celui qui, encore lundi, était sûr de perdre sa place.
Oui de la chance, il en faudra pour composer avec cette 20ème Knesset, car rappelons-le, le peuple israélien s’est lassé de ces élections. D’ordinaire si civiques (75 à 80% de participation sur les 16 dernières années), les israéliens ne se déplacent plus en masse pour voter et commencent même à douter de leurs représentants dont les mandats politiques n’arrivent à leur terme.
4 ans, cela paraît essentiellement court pour une législature, et pourtant, aucune des 4 dernières Knesset n’est parvenue à échapper aux élections anticipées.
Si ce rituel est devenu agaçant, c’est bien le jeu politique en Israël qui pose problème. Initialement prévues pour novembre 2017, ces 20èmes législatives ont vu 33 partis politiques s’affronter autour d’un scrutin à la proportionnelle intégrale[3]. Une multitude de partis pour si peu de places, qui oblige les discussions acharnées, les coalitions et les cartels près-électifs[4].
Alors, y-a t’il encore des raisons d’espérer ?
200.000 bulletins pour changer la donne[5]
Car ce que l’on oublie de dire, c’est que les résultats définitifs ne sont toujours pas connus. Reste près de 200.000 bulletins de votes à dépouiller. Ces « doubles enveloppes » sont celles des soldats, des personnes hospitalisées et des diplomates qui se trouvent à l’étranger. Assez pour faire pencher la balance ?
Si cela ne devrait tout de même rien changer pour le vainqueur, ce sont les outsiders qui espèrent grappiller quelques sièges au Likoud. D’ores et déjà, « une équipe en vue d’une négociation pour la formation d’une coalition sous la direction de Herzog a été mise sur pied » selon l’Union sioniste, pour faire valoir la force d’un message qui n’entend tromper personne : « Le bloc de la droite s’est réduit. Tout reste ouvert jusqu’à la publication des résultats réels et définitifs à partir desquels on saura quelles sont les listes qui auront franchi le seuil d’éligibilité et quel gouvernement nous pourrons former« .
Netanyahu, mais pourquoi est-il si méchant ?
Sa personnalité dérange, d’Israël aux États-Unis, de Paris à Téhéran. On le sait en froid avec Barack Obama, encore plus depuis son discours devant le Congrès américain auquel le Président des États-Unis ne s’est pas rendu (veuillez comprendre : n’a pas été convié). Il est vrai que le leader du Likoud n’est pas non plus le meilleur allié de l’Europe. On se souvient de la condamnation massive de l’opération israélienne « Bordure protectrice »[6] lancée en réponse à l’assassinat de 3 jeunes israéliens par le Hamas en juin 2014. De nombreuses marches avaient été organisées partout en Europe et fortement en France pour demander l’arrêt de cette situation vécue comme une « barbarie », en brandissant des pancartes « Free Palestine », contre la colonisation de Cisjordanie, appelant au « Boycott d’Israël » et qualifiant Netanyahu de « criminel de guerre ».
Dans le même temps, la question de la reconnaissance de l’État palestinien reste un point de friction. Votée symboliquement par la France le 2 décembre 2014[7], l’approche peu consensuelle dont avait fait preuve le Premier Ministre israélien à l’époque aura marqué les esprits : « La reconnaissance d’un État palestinien par la France serait une grave erreur (…) C’est ce qu’ils ont à faire en ce moment en France quand on décapite des gens à travers le Proche-Orient, y compris un citoyen français ?« . Sur la Palestine toujours, il faut rappeler que son adhésion en 2012 au rang d’État observateur non membre de l’ONU n’avait rien changé à un processus de paix engagé depuis près d’une vingtaine d’année dans la région[8].
Dans tout cela n’omettons pas le matraquage politique, devenu presque rébarbatif, auquel est soumis l’Iran. Dans un rapport ressent[9], ce sont les services secrets israéliens qui viennent contredire Benyamin Netanyahu. Non l’Iran n’est pas à 3 mois d’obtenir l’arme nucléaire depuis 6 ans. Et oui, le processus de négociations engagé avec les États du G5 s’annonce être une avancée majeure. Surtout, l’Iran n’a pas le choix[10]. L’Occident non plus d’ailleurs. Faire disparaître une menace et lutter contre d’autres voici l’objectif qu’entendent atteindre les discussions avec l’État perse.
Les questions sécuritaires au cœur du débat politique
Finalement, derrière tout cela se cache une volonté d’interpeler le monde occidental sur la situation de l’État hébreu. Israël se sent menacé dans sa politique extérieure. Et au regard des conflits régionaux qui l’entourent (Libye, Irak…) et du terrorisme qui sévit aveuglément (Daesh), on peut facilement comprendre pourquoi.
Financé à hauteur de 3 milliards de dollars/an par les États-Unis, le budget de défense israélien (évalué à 14 milliards de dollars)[11] ne signifie rien face aux possibilités qu’offre une région plus pacifique. Mais de part et d’autre, l’instabilité régionale renforce le discours alarmiste des autorités israéliennes, qui, aux yeux d’une opinion internationale très souvent unanime, et par la voix de son porte parole désigné, peuvent donner ce sentiment d’en faire trop.
Les questions sécuritaires ont très largement étaient présentes tout au long de la campagne électorale du Likoud. Le vote qui en résulte reflète aussi une inquiétude grandissante chez les électeurs face à la montée du fondamentalisme religieux, à la radicalisation de territoire entier qui l’entoure et au sentiment d’être oublié par la communauté internationale. De son côté, Yitzhak Herzog (l’adversaire d’un soir) est apparu déconnecté des inquiétudes de la population, axant trop souvent son discours sur la personnalité de Netanyahu et ses résultats politiques en deçà des attentes générales.
Le Netanyahu vu de l’intérieur
Ici et là on entend que le Premier Ministre sortant détient un bilan désastreux. La campagne électorale menée par l’homme fort du Likoud a sûrement renforcée ce trait. Discret sur les questions sociales qui ont pu embraser son pays, Bibi a t-il était le mauvais élève que l’on décrit ?
Et bien non à en croire ses résultats (qu’il s’est refusé à défendre). Sous son impulsion, le taux de chômage est passé de plus de 9 % en 2009 à 5,6 % en 2014. Le salaire minimum a été augmenté à 1 233,5 dollars contre 937,5 auparavant. Ce faisant, 200.000 personnes sont sortis du seuil de pauvreté. Enfin, le pays affiche une croissance de 7,2% de son PIB au 4ème trimestre 2014, pour une moyenne de 2,9 % sur l’exercice annuel. Un résultat légèrement en repli par rapport au 3,2% enregistré en 2013, mais qui s’explique facilement au regard des conflits dans la bande de Gaza, qui ont directement pesé sur l’activité économique et touristique du troisième trimestre[12].
Même s’il est décrié, le leader du Likoud a aussi une expérience internationale. Une stature qui en fait aujourd’hui l’homme fort d’Israël. Faudrait-il encore le rappeler, chef du gouvernement entre 1996 et 1999, Ministre des Affaires étrangères, puis Ministre des Finances entre 2002 et 2005, il affiche une des plus fortes longévités du champ politique israélien après 6 années passées à la tête de l’État hébreu. Ce dernier élément a sûrement été essentiel lors du scrutin du 17 mars dernier.
Alors quel constat s’impose au regard d’un bilan international très contesté et parfaitement contestable, mais qui vu de l’intérieur apparaît comme l’un des plus fructueux depuis la création d’Israël (à en faire pâlir les pays européens) ? Un électorat jeune de plus en plus orienté à droite comme le sous-entend le quotidien Ha’Aretz dans son article « Les électeurs ont choisi Netanyahou parce qu’ils ont peur » ? Est-ce la personnalité de Netanyahu qui dérange plus qu’autre chose ?
Interrogeons-nous finalement. Netanyahu évincé, les électeurs auraient-ils pris la peine de descendre les rues en scandant « Bibi come back » ? Ou bien c’est peut être la vrai force de Netanyahu… He is back.
——– Notes de bas de page –——
[1] La Knesset est le lieu de l’expression du pouvoir législatif en Israël. Les 120 élus y votent les lois, votent le budget, nomme le président de l’État et assure un contrôle des institutions gouvernementales
[2] Liste commune entre Parti travailliste et le parti Hatnuah
[3] Système électoral accordant aux partis politiques un nombre d’élus proportionnel au nombre de suffrages obtenu par chacun d’entre eux
[4] Élections mode d’emploi, Courrier Internationale n°1271
[5] Noam (Dabul) Dvir, More than 200,000 ‘double envelope’ votes could sway election results, Ynetnews.com, 18 mars 2015
[6] Visant à détruire les tunnels illégaux creusés pour assurer le passage de Gaza vers Israël
[7] Par 393 votes contre 151
[8] Armin Arefi, État palestinien : ce que change le vote des députés, LePoint.fr, 2 décembre 2014
[9] Nucléaire iranien : Benjamin Netanyahu contredit par le Mossad, Euronews.fr, 24 février 2015
[10] Thomas Alves-Chaintreau, Iran : Pourquoi les perses ont-il besoin de négocier avec les autorités internationales pour soulager leur économie ?, LaNouvelleChronique.com, 5 décembre 2014
[11] Israël: le budget de la Défense revu à la hausse, i24 News, 17 août 2014
[12] Vif rebond économique en Israël après la guerre à Gaza, Capital.fr, 16 février 2015