C’est une victoire sans appel, et cela n’a rien de surprenant. Traumatisés par des années de politique d’austérité, les électeurs grecs ont répondu par les urnes en plaçant Syriza en tête des élections législatives anticipées. Avec 36,34% des suffrages, le parti de gauche, emmené par Aléxis Tsípras, obtient 149 des 300 sièges du Voulí (Parlement grec), reléguant ainsi Pasok (parti social-démocrate) et Neo Dimokratia (parti du Premier ministre sortant, Antónis Samarás) au rang de petits groupements politiques grecs.
En finir avec la corruption et les échecs des gouvernements successifs
Les helvètes ont frappé du point sur la table contre les mesures imposées par l’Europe et contre une politique nationale clientéliste qui, depuis des dizaines d’années, pollue la vie économique de la Grèce.
Si Antónis Samarás évite la débâcle connue par les socialistes du Pasok (4,68% des voix contre 12,3% en 2012) et peut se rassurer de n’avoir perdu que deux points de votes exprimés, en comparaison aux dernières élections, l’ancien premier ministre laisse entre les mains d’Aléxis Tsípras un pays dont l’économie a chuté de 20% et dont le taux chômage a plus que doublé depuis 2010 (passant de 11,1% à 25,9% fin 2014).
Cela ne l’a pas empêché de déclarer : « j’ai la conscience tranquille. Nous avons hérité d’un pays au bord du gouffre. Nous lui avons évité le pire. Aujourd’hui, nous avons rétabli la crédibilité de ce pays et rétabli les fondements de son économie ». Rappelons qu’il a lui-même décidé, le 29 décembre dernier, de dissoudre l’assemblée et de convoquer des élections législatives anticipées après l’échec de son gouvernement à faire élire Stavros Dimas, son candidat aux élections présidentielles.
Mais il ne faut pas s’y tromper. Si Syriza est maintenant au pouvoir, c’est que le parti a été plébiscité par un peuple déçu des hommes politiques qui depuis trop longtemps obéissent à Bruxelles et aux oligarques du régime. Contre l’austérité imposée par l’Europe et contre la corruption installée dans le pays, Aléxis Tsípras a pris le contre-pied des programmes électoraux de ses concurrents. S’il a déclaré ne pas souhaité voir la Grèce sortir de la zone euro, il cherchera néanmoins à s’opposer à un remboursement de la dette du pays auprès de ces créanciers (que sont le Fonds Monétaire International, l’Union européenne et la Banque centrale européenne) et ainsi « mettre fin à une politique de soumission ».
Ses premières décisions vont d’ailleurs dans ce sens. Convoqué lundi 26 janvier par le Président Grec, Károlos Papoúlias, nommé Premier ministre dans la foulée, Aléxis Tsípras a annoncé ses premières mesures : rétablir les conditions de travail et les conventions collectives, augmenter le salaire minimum de 580 à 751 euros et les rentes des retraités, mais surtout, reconstruire le secteur public et réembaucher les fonctionnaires licenciés.
Autrement dit, ces annonces vont à l’encontre du plan de sauvetage consenti par l’UE, et ce, peu avant le versement prévu des 7 derniers milliards d’euros d’aides européennes.
Une affaire de créanciers
Mercredi 28 janvier, Tsípras présente son gouvernement après quelques négociations ardues avec Pános Kamménos, leader de l’Anel (Grecs indépendants) faute d’une majorité absolue au parlement (149 sièges contre 151). Sans surprise on retrouve à ses côtés le fameux Kamménos au Ministère de la défense, mais plus intéressant encore, c’est la figure du Ministre des Finances qui retient notre attention.
Décrit par les médias comme « la » rock star du gouvernement[1], Yanis Varoufakis, 53 ans, est l’homme de la situation pour Tsípras. Économiste formé à Cambridge au Royaume-Uni, ancien professeur de l’Université de Sydney (Australie) et de l’Université du Texas (Austin) aux États-Unis, il est proche de l’économiste américain James K. Galbraith connu pour son opposition aux classes dominantes dites « prédatrices » et ses théories sur la planification économique des États. Varoufakis est aussi un militant engagé contre la politique d’austérité infligée à la Grèce et s’est montré très critique envers les créanciers internationaux qualifiant les plans de sauvetage de « stupides »[2] tout en déclarant à l’attention des allemands : « le problème n’est pas que vous n’avez pas assez payé. Le problème, c’est que vous avez trop payé. Mais vous ne vous êtes pas rendu compte que moins de 10 % de votre argent a bénéficié à la Grèce. Le reste a été englouti par les créanciers, et dans le trou noir de la dette ».
Il n’en fallait pas moins pour qu’une fois nommé, il se tourne vers l’Europe et s’exprime sur le sujet : « nous tournons une page, dans ce lieu qui a vu naître une grande erreur, le plus grand prêt de l’histoire de l’humanité et une dette monstre ».
Un appel lancé pour l’effacement de la dette ? Le Président de la Commission européenne n’est pas du même avis. Jean-Claude Juncker s’avoue prêt à négocier avec le nouveau gouvernement grec, mais oublier sa dette n’est pas à l’ordre du jour. Et l’on comprend mieux pourquoi : d’ici à la fin de l’été, la Grèce doit rembourser près de 12 milliards d’euros au FMI et à la BCE.
Patience donc pour les créanciers, car la réalité financière rattrapera sûrement la Grèce d’ici là. L’économiste Georges Stathakis explique qu’il faudrait revoir le système de calcul du remboursement des prêts pour conduire à un montant proportionnel à l’évolution du PIB grec. Le FMI « avait fixé à 2022 l’échéance pour ramener la dette grecque de 175% à 120% du PIB (…) en déduisant le calcul de l’excédent budgétaire primaire à dégager au cours des sept prochaines années : soit un minimum de 3% par an, un objectif difficile à tenir sans croissance forte ni inflation »[3].
Aléxis Tsípras a depuis légèrement tempéré. Les institutions financières restent, elles, intransigeantes : échelonnons donc la dette de la Grèce, consentons à quelques efforts, mais ne parlons plus d’effacement.
Pour rappel, la BCE détient 25 milliards d’obligation grecques, le Fonds européen de stabilité financière a consenti à un prêt de 141,8 milliards d’euros (avec un moratoire de 10 ans sur le paiement des intérêts et un échelonnement sur 32 ans du remboursement). La France est exposée à hauteur de 42,2 milliards d’euros, l’Allemagne, quant à elle, à hauteur de 56,4 milliards d’euros.
Imaginer un effacement de la dette en viendrait à bouleverser l’économie européenne. On comprend mieux les sortis des dirigeants de la zone euro en ce sens.
La victoire de Syriza vue par l’Europe : les allemands de vrais méchants ?
Tous ne sont pas du même avis. Sergei Stanishev, Président des socialistes européens et Paolo Gentiloni, Ministre des Affaires étrangères italiennes, prônent la fin d’une politique d’austérité qui met à mal l’économie européenne.
A l’inverse, David Cameron, exprime ses craintes dans cette élection qui, pour lui, va augmenter l’incertitude économique. Même son de cloche en Espagne.
En France, François Hollande s’est montré plus nuancé, félicitant le nouvel élu et appelant à une étroite coopération avec Athènes « au service de la croissance, dans l’esprit de progrès, de solidarité et de responsabilité qui est au cœur des valeurs européennes ». Bravo Syriza mais attention note-t-il, car l’économie européenne ne peut s’ébranler sous couvert du non-respect des engagements pris par les politiques prédécesseurs. Si les grecs de Syriza n’acceptent pas les négociations avec l’Europe, c’est le pays tout entier qui sera de nouveau menacé de faillite.
Le gouvernement Merkel est lui univoque, « une réduction de la dette est exclue » s’est exprimé Wolfgang Schäuble, Ministre fédéral des finances allemandes, reconnaissant toutefois la possibilité d’un étalement de la dette sur plus long terme si et seulement si la Grèce en faisait expressément la demande. Voilà qui ne remontera pas la côte des allemands dans le cœur des grecs mais qui a le mérite d’être clair et affirmatif.
Il est vrai qu’Aléxis Tsípras aura beaucoup à faire pour gagner la confiance des pays européens sans effriter la popularité dont il jouit en Grèce. Mais cela ne sera pas aisé. Mercredi, les premières mesures annoncées par son gouvernement ont connu un accueil retentissant auprès des marchés financiers, l’indice général de la Bourse d’Athènes se contractait de 9,24%, quand l’obligation grecque à 10 ans repassait au-dessus de 10% et que les banques perdaient un quart de leur valeur (-26,67%).
Finalement, si on ne peut reprocher aux grecs les abus de leurs élites dirigeantes et la corruption en place depuis tant d’années, on pourra à l’inverse souligner qu’ils n’ont pas su proposer d’alternatives politiques évidentes pour reconstruire leur pays.
C’est de ce manque d’opposition flagrante qu’est né le parti Syriza, dont les représentants portent un savoir-faire politique et économique qui a paradoxalement été forgé à l’étranger, dans ces mêmes pays qui représentent aujourd’hui la Troïka qu’ils dénoncent.
Aussi, pour comprendre le vote grec il faut se remettre dans ce contexte particulier et souligner que Syriza s’est montré comme une « possibilité » politique aux yeux des grecs déçus et désemparés face au spectacle que leurs offraient les oligarques biens installés dans le pays.
——– Notes de bas de pages –——
[1] Marina Rafenberg, Grèce : Yanis Varoufakis, un ministre de l’Économie rock’n’roll, Le Point.fr, 28 janvier 2015
[2] Yanis Varoufakis, un ministre des Finances rebelle, Courrier International.com, 28 janvier 2015
[3] Anne Bauer, Dette : les Européens prêts à discuter d’un rééchelonnement, pas d’un effacement, Les Echos.fr, 27 janvier 2015