Sommaire
1 – Du premier discours nationaliste à la Présidence unique de la Yougoslavie
2 – Perte d’influence de la Ligue des communistes et désirs indépendantistes
3 – Slobodan Milošević, les Serbes et les autres
4 – Le jour où Milošević est né
5 – Campagne présidentielle serbe 1989 : Vers un durcissement du discours nationaliste
6 – 28 juin : le discours du Gazimestan
7 – 1990 : La fin de la Yougoslavie
Radovan Karadžić, ce nom ne vous dit peut-être rien, et pourtant ce docteur en psychiatrie, spécialiste du traitement des névroses et de la dépression, était la personne la plus recherchée après Oussama Ben Ladden.
Lundi 29 septembre s’est ouvert la phase finale de son procès pour crime contre l’Humanité.
Jugé par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), le serbe de Bosnie est accusé de génocide en Yougoslavie et du massacre de Srebrenica.
Du premier discours nationaliste à la Présidence unique de la Yougoslavie
Arrivé à Sarajevo à 15 ans, Radovan Karadžić étudie la médecine et commence à se passionner pour la politique. De son passage à la faculté de philosophie en 1968, on ne retiendra que ses discours nationalistes qui déjà, montrent la voie extrémiste que l’homme commence à emprunter. Brillamment diplômé, il devient psychiatre à Sarajevo et commence à exercer dans les hôpitaux de la ville.
C’est en 1990, qu’il créé son parti politique, le PSD pour Parti Démocratique Serbe. Sarajevo est, à l’époque, la capitale de la Yougoslavie, État réunissant les territoires actuels de Slovénie, de Croatie, de Bosnie-Herzégovine, du Monténégro, de Serbie, de Macédoine ainsi que du Kosovo. De ce fait, y créer un parti politique assurant la défense des intérêts uniques de la communauté serbe dénote, plus qu’une provocation, une réelle déclaration de supériorité nationale.
La même année, des élections libres se tiennent dans les provinces de Slovénie, Croatie, Bosnie-Herzégovine et Macédoine. Les résultats attestent d’une victoire indépendantiste écrasante. Dès lors, les désirs nationalistes sont renforcés et, logiquement, ces régions font scission avec la Yougoslavie.
Aussi que s’est-il passé pour en arriver à la destruction de l’État pluriethnique de Yougoslavie et pourquoi Karadžić est le dernier des serbes sécessionnistes à être jugé pour crime contre l’humanité ?
Perte d’influence de la Ligue des communistes et désirs indépendantistes
La dislocation de la grande Yougoslavie (ou République fédérative socialiste de Yougoslavie) est intimement liée à la perte d’influence du parti communiste en place.
Si depuis les années 1970 de vrais désirs d’autonomie font jour sous l’impulsion de dirigeants comme Aleksandar Rankovi – le « Printemps croate » en est le parfait exemple : dans un processus de décentralisation de l’État yougoslave, leaders communistes et nationalistes croates marchent ensemble pour demander une plus forte autonomie de la République populaire de Croatie ; suite aux nombreuses arrestations d’activistes, le gouvernement accédera tout de même à cette demande en révisant la Constitution afin de garantir une certaine autonomie aux Républiques qui constitue la grande Yougoslavie – la mort du Maréchal Josip Broz Tito en 1980, Président à vie et leader acharné de la résistance yougoslave durant la Seconde Guerre mondiale, a propulsé le pays dans la désunification totale.
Privée de leur dirigeant naturel(lement forcé), la Yougoslavie s’enfonce dans un marasme économique dû, en partie, au second choc pétrolier, mais surtout à l’impossibilité de se réformer en profondeur et de voir émerger, parmi les représentants de la Ligue des communistes, un leader politique né.
À la tête de l’État, les dirigeants des différentes républiques communistes se succèdent pour prendre le rôle de Président de la Présidence de République de Yougoslavie.
À la tête de la Ligue communiste, les dirigeants locaux choisissent de suivre leurs propres lignes politiques.
Ce mouvement de chaise musicale voit se renforcer, du côté de l’appareil décisionnaire, une totale décentralisation de l’État, et du côté du peuple, des revendications purement nationalistes qui auront pour finalité l’arrivée au pouvoir, dans chacune des républiques, des dirigeants locaux réformistes et/ ou sécessionnistes.
Slobodan Milošević, les Serbes et les autres
Ces revendications se transforment rapidement en épreuves de force, quand, en avril 1987, de graves émeutes éclatent au Kosovo.
En campagne pour prendre la succession d’Ivan Stambolić à la tête de la Ligue des communistes de Serbie, Slobodan Milošević, ancien directeur de la Banque de Belgrade (Beogradska Banka), assiste à l’affrontement des populations serbes et albanaises dans la région.
Envoyé sur place par la présidence dans le but de calmer la minorité serbe qui se considère être victime de répressions et de discriminations constantes de la part des autorités albanaises, Milošević en profite pour rallier la population à sa cause et aura cette phrase qui le rendra populaire auprès des Serbes : « Ne sme niko da vas bije » – « On ne vous frappera plus jamais ».
Son adversaire politique, Dragiša Pavlović, est décontenancé par ces propos manipulateurs. Le président Ivan Stambolić, jusque lors principal soutien dans la course à la présidence et meilleur ami de Milošević, cherche à se démarquer de ses positions sans pour autant le renier totalement.
Contre la politique du parti, le sujet de l’indépendance de la minorité serbe devient un leitmotiv de campagne pour Milošević. L’instrumentalisation qui en est faite trouve son paroxysme lors du 8ème Congrès de la Ligue des Communistes de Serbie de septembre. Deux camps s’opposent, les pro-Pavlović (avec l’aval de Stambolić) prônant les négociations politiques avec les leaders albanais pour la reconnaissance des droits de la minorité serbe, et les pro-Milošević favorables à une action rapide et forte. Pour ses positions anti-albanais, Milošević hérite alors d’une étiquette de nationaliste qui, bien qu’il puisse être considéré comme tel, n’a de cesse de le tourmenter. L’intéressé se défend en prétendant vouloir trouver une solution au problème « Kosovo ».
Ses partisans demandent alors l’expulsion immédiate de Dragiša Pavlović pour troubles et contestation en marge du débat présidentiel. Ivan Stambolić s’affiche contre cette décision et adresse un courrier aux différents membres du parti afin de les en dissuader, prononçant une réconciliation entre les deux camps.
Le 18 septembre, soit un jour avant l’ouverture du 8ème Congrès de la Ligue des Communistes de Serbie. Milošević, avisé du message envoyé par la présidence du parti, lit devant le comité réuni, la lettre rédigée par la main de Stambolić. Nombreux sont les membres du Congrès qui apparaissent choqués par ces révélations, véritable ingérence de la présidence dans les affaires privées du parti.
Stambolić est trahi par son propre ami.
Le 19 septembre s’ouvre enfin le congrès sur fond de tension politique.
À la demande de Milošević, le Congrès est retransmis en directe sur la chaîne nationale. S’il ne réussit pas à convaincre ses paires durant son discours, Milošević connaîtra une véritable déconvenue publique, dans le cas contraire il affirmera son autorité sur le parti et s’imposera comme le leader naturel des serbes.
Alors qu’il accuse Dragiša Pavlović de véritable coup de force, en bafouant les régles du parti, en désunifiant les peuples de Yougoslavie, et en cherchant à semer le trouble au sein des représentants au Congrès, il est pris à parti par Ivan Stambolić, qui, devenu fou, pensant marcher sur la tête à l’écoute des aberrations de Slobodan Milošević, cherche à démontrer que lui seul est responsable d’avoir brisé l’unité qui régnait dans ce parti.
Le parti appelle au vote de l’assemblée. Les résultats sont sans appel. Milošević s’octroie la confiance de ses paires au grand damne de Stambolić.
De cette intervention on retiendra le renforcement du système Milošević, une main mise sur le parti et un contrôle sans fin sur les populations spectatrices.
En résulte l’éviction de Pavlović, par obsession du pouvoir et surement sur fond de jalousie, une véritable désillusion pour les alliés du Président, se retrouvant minoritaires, mais aussi une humiliation publique pour Stambolić. Contraint de démissionner, Stambolić abandonne son poste, au profit de … Milošević.
Campagne présidentielle serbe 1989 : Vers un durcissement du discours nationaliste
Nouvellement élu à la tête de la Ligue de Serbie, Milošević fait changer le nom du parti communiste en « parti socialiste » et lance une campagne présidentielle sur le thème du Memorandum de l’Académie serbe des Arts et des Sciences rédigé entre 1985 et 1986 pour la Ligue.
Ce document se divise en deux grandes parties. L’une fait état des problèmes économiques et sociaux auxquels la Yougoslavie fait face depuis la promulgation de la Constitution de 1974. L’autre entend dénoncer la répression des populations serbes réparties sur l’ensemble du territoire et témoigner du peu considération donnée à leur intérêts. À cet effet, le document se réfère aux exemples du Kosovo et de la Croatie, provinces dans lesquelles les serbes sont souvent mis en marge de la société.
À sa publication, le Memorandum rencontre une très forte opposition au sein des classes politiques dirigeantes. Attendu comme un papier visant à rétablir l’unité yougoslave, il suscite en réalité une controverse généralisée à l’ensemble du pays, et marquera le point de départ de toutes les idées nationalistes qui parcourront la Yougoslavie dans les années 1980.
Très concrètement, on y retrouve les grandes orientations du système Milošević, ainsi que l’ensemble des propos nationalistes qu’il utilisera pour se faire élire Président de Serbie le 8 mai 1989.
28 juin : le discours du Gazimestan
Afin de célébrer la résistance des serbes contre l’empire Ottoman à la bataille de Kosovo Polje en 1389, des commémorations sont prévues au pied du Gazimestan pour rendre hommage à Saint Lazar (le Tsar Lazar Hrebeljanović) à l’occasion du 600e anniversaire de sa mort.
Près d’un million de serbes se sont déplacés dans la région de Pristina pour assister à l’évènement. Tous brandissent des portraits du prince serbe et du président Milošević, à la gloire de la Serbie. Face à la foule venue en nombre écouter l’allocution du président, Milošević utilise l’histoire pour faire ressurgir les émotions du passé et toutes les rancoeurs enfouies au plus profond des serbes.
Il prononce un discours ultra-nationaliste dirigé contre le peuple musulman et les différents peuples de Yougoslavie, et annonce un ensemble de mesures politiques visant à affirmer la prédominance du peuple serbe.
Slovènes et croates sont horrifiés par ses déclarations, mais c’est encore le peuple albanais qui doit subir les décisions de Milošević, appelant à un programme de reconquête du Kosovo, dans le but de réaliser l’union de la Grande Serbie.
Ce 28 juin, sous le monument édifié en 1953, une atmosphère indépendantiste plane sur la Yougoslavie.
1990 : La fin de la Yougoslavie
Résumer la fin de l’État yougoslave ne se réduit pas seulement à un simple désir indépendantiste, c’est un ensemble de considérations, qui, associées ont eu pour conséquence de soulever cette question séparatiste.
Si la défiance entre les différentes populations yougoslaves était bien réelle, il faut rajouter à cela les problèmes économiques auxquels fait face la Yougoslavie depuis 1980, et qui s’aggravent avec la fin du modèle communiste.
Conséquences directe de la chute du mur de Berlin, le 9 novembre 1989, des élections sont prévues dans les provinces unies de Yougoslavie tout au long de l’année 1990. Entre temps, Milošević avait bien tenté de rassembler tous les pouvoirs dans les mains de l’autorité centrale serbe, mais ce plan, visant à supprimer l’autonomie des provinces et enrayer les désirs séparatistes, ne fera qu’empirer la situation vers laquelle le pays se dirige. En supprimant l’autonomie du Kosovo et de la province de Voïvodine, Milošević fait naitre frustration, incompréhension et colère parmi les populations.
Bosnie-Herzégovine, Macédoine, Serbie, Slovénie et Croatie élisent à la tête de ces nouveaux États, des hommes politiques favorables au mouvement de démocratisation engagé en Europe de l’Est.
Afin d’enrayer la crise vers laquelle la Yougoslavie dérive, Franjo Tuđman, élu premier Président de Croatie en mai 1990, et Milan Kučan, ancien chef le la Ligue des communistes de Slovénie, et élu président de la Slovénie en 1991, proposent de transformer la Yougoslavie en une confédération d’États souverains.
Cependant, les populations serbes, répartis dans ces nouveaux États, appellent, eux, à l’unification d’un Etat serbe. Dès 1990, suivant l’exemple du PSD, de nombreux partis unionistes avait fait surface. Plus ou moins radicaux, leurs leaders se reconnaissent tous de ce désir d’un État serbe autonome.
Dès la première élection, Jovan Rašković fonde le Parti démocrate serbe en février 1990 et harangue les foules sur le thème « la division régionale de la Croatie (est) obsolète et ne (correspond) pas aux intérêts du peuple serbe ». Il veut un redessiner les territoires en respectant les compositions ethniques en place. En ce sens, il poursuit l’idée de Slobodan Milošević de voir les serbes vivres ensemble dans un seul et unique pays.