Quarante années ont passé depuis la découverte du virus Ebola en octobre 1976 en République Démocratique du Congo. Quarante années depuis qu’une équipe emmenée par un jeune chercheur belge, Peter Piot, a tenté de définir ce mal qui, observé au microscope, ressemblait à un ver et pour lequel aucune information n’existait.
Depuis l’hiver précédent, nous assistons à une recrudescence du virus, touchant principalement trois pays d’Afrique de l’Ouest : le Liberia, la Guinée et le Sierra Leone. La communauté internationale paraît très préoccupée par la propagation du virus. Près de 1900 cas ont été recensés, et, depuis décembre 2013, 1 350 personnes ont perdu la vie, 576 au Liberia, 396 en Guinée, 374 en Sierra Leone et 5 au Nigéria. En cause, un virus mortel de la famille des filovirus, du nom d’une rivière de l’ex-Zaïre, Ebola.
Le Dr Bart Janssens, directeur des opérations pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS) déclare à ce propos : « Cette épidémie est sans précédent, absolument pas sous contrôle et la situation ne fait qu’empirer, puisqu’elle s’étend encore, surtout au Liberia et en Sierra Leone »
L’opinion publique, touchée par le décès du missionnaire espagnol, le père Miguel Pajares, rapatrié en Espagne après avoir contracté la maladie auprès de personnes infectées au Libéria, commence à s’inquiéter d’une possible importation de la maladie en Europe.
Ces frayeurs sont-elles justifiées ?
Comment ce virus est-il arrivé à l’homme ?
Le virus a connu plusieurs épidémies, touchant le Gabon, la Guinée, le Sierra Leone, le Nigéria, le Libéria ou encore l’Ouganda, sans oublier certains cas transportés en Afrique du Sud. Le premier foyer d’infection a été observé dès 1976, mais cette maladie serait bien plus ancienne. Des traces d’anticorps ont été décelées chez certaines populations africaines.
Ce que l’on sait du virus c’est qu’il prend son origine dans un micro-organisme transmis par la chauve-souris aux grands animaux que sont les singes d’Afrique. Ceux-ci, en dévorant les baies sauvages convoitées par les mammifères volants, se retrouvent infectés par le virus. À leur tour, les hommes, en mangeant la viande des primates malades, ingèrent la maladie et développent un foyer infectieux.
Comment pouvons-nous contracter le virus ?
Si la maladie ne laisse qu’entre 10 et 25 % de chance à son hôte de survivre, elle a besoin, pour se propager, d’un contact direct entre le malade et le corps sain et pourrait de se fait, se résorber par elle-même en cas d’une épidémie.
En effet, l’infection se développe et que le virus intègre la peau d’une personne en bonne santé, il faut qu’au préalable, celui-ci ait été en contact avec les fluides (sang, salive, sueur, sel et sperme) du malade.
De ce fait, les premières personnes exposées, puis contaminées, sont le personnel hospitalier en place qui, dans les régions endémiques, se battent contre le virus.
Alors pourquoi le Libéria, la Guinée et le Sierra Leone sont-ils touchés ?
Les populations touchées sont aussi les populations les plus fragilisées. Ces pays ont été en proie à la guerre civile, aux déplacements ethniques (1) et à la corruption de ses élites dirigeantes qui ont empêché la construction des structures hospitalières, le développement de l’éducation sanitaire et l’accès aux soins nécessaires pour endiguer un tel virus. Ces conditions constituent d’autant plus un risque que la densité démographique dans ces régions est très élevée.
Si la létalité de la maladie est un fait, il faut aussi considérer que les rituels religieux qui honorent les défunts dans ces régions d’Afrique de l’Ouest ne permettent pas de contenir la propagation du virus. Au Libéria par exemple, une fois le rite mortuaire terminé, les familles viennent nettoyer le corps de la personne décédée, puis se rincent les mains dans une bassine commune au village du défunt.
Il ne faut pas non plus oublier les phénomènes de psychose et de paranoïa que déclencher la maladie parmi les populations. Ebola provoque une maladie mortelle et transmissible, sépare les contaminés de leurs familles, mais est aussi associé au sentiment, pour ces mêmes populations, d’être la phase de test de développement d’un sérum pour l’Occident.
Faut-il avoir peur d’une arrivée de la maladie en Europe ?
Il est possible qu’un cas puisse arriver sur le sol européen par un voyageur, mais les structures sanitaires en place (centre hospitalier, mises en quarantaine, rapports sur les déplacements de la personne infectée, etc.) empêcheront le développement du virus.
Les modes de propagation n’étant pas aériens, les chances de contamination sont d’autant plus réduites. De plus, le virus n’est pas transmissible pendant la période d’incubation du malade. Une personne qui porterait le virus sans en avoir déclaré les symptômes serait dans l’incapacité de le transmettre à d’autres individus, le malade n’étant contagieux qu’à la phase d’état de maladie et pour un pique épidémique prévu deux à trois jours après le début des premiers symptômes.
Maux de tête, arthralgies, fièvre, nausées, tant de symptômes qui empêcheraient le contaminé de se déplacer à pied, ou en transport public pour aller chez le médecin, sans l’aide d’une tierce personne.
« L’actuelle épidémie d’Ebola (est) une urgence de santé publique de portée mondiale »
Cependant, et pour aller dans le sens des déclarations récentes de l’OMS, ces quasi-certitudes n’empêchent pas les services sanitaires internationaux de prendre des mesures exceptionnelles afin d’être prêts dans le cas d’une arrivée de patients infectés.
C’est pourquoi, dans le cadre d’une conférence à Conakry en Guinée, la Directrice générale de l’OMS, Margaret Chan, a exhorté les chefs d’État des pays touchés par l’épidémie à contrôler les transits des populations internes et à restreindre l’accès à leurs frontières. Elle annonce vouloir réunir un groupe d’experts afin de délibérer sur les questions éthiques que soulèverait le recours aux sérums non homologués, c’est à dire ni testés, ni approuvés par les institutions médicales internationales.
ZMapp : ZMiracle ?
Si la décision d’utiliser des produits non certifiés venait à être prise, constituerait-elle un risque sanitaire plus important que le virus lui-même, alors que l’on ignore les effets de ces produits sur l’organisme humain ?
L’espoir est né du ZMapp, un vaccin expérimental développé aux États-Unis. Deux Américains ont pu bénéficier de son injection après avoir contracté le virus au Libéria. Depuis leur état semble fortement s’améliorer. C’est pourtant ce même sérum qui a été administré au Père Miguel Pajares, sans connaître le même succès.
Mais un risque plus grand pourrait être pris. Le produit injecté, n’ayant pas franchi les étapes d’essais cliniques, pourrait avoir des répercussions totalement incontrôlées et pourrait entraîner des réactions contraires à celles recherchées initialement. Il pourrait avoir des effets secondaires redoutables, ou pire encore, être vecteur de nouvelles dégénérescences ou de maladies jusqu’alors inconnues.
Malgré les regains de tensions que pourrait créer le virus entre pays frontaliers (on apprend notamment que l’Afrique du Sud vient de fermer les portes de son aéroport de Pretoria à tous les voyageurs provenant de Guinée, du Libéria et de Sierra Léon – sauf pour voyage hautement important), et le renforcement des idées préconçues sur une industrie pharmaceutique qui n’offrirait des remèdes que pour protéger des populations en capacité de les acheter, on est en droit de se demander pourquoi la recherche nationale et les organisations internationales n’ont pas réalisés dans quelle mesure Ebola pouvait-être une catastrophe sanitaire régionale.
[twitter-follow screen_name=’laNouvelleC’ show_count=’yes’]
(1) Le Sierra Leone a connu une guerre civile de 1991 à 2002 pour le contrôle des zones diamantifères de la région, causant la mort de plus de 150.000 personnes et le déplacement du tiers de la population.