Mercredi 16 juillet, la Cour pénale internationale de La Haye rend son verdict. « L’État des Pays-Bas est responsable de la perte subie par les proches des hommes qui ont été déportés par les Serbes de Bosnie depuis les bâtiments Dutchbat à Potocari dans l’après-midi du 13 juillet 1995″.
Pourquoi un tel jugement ? Que s’est-il vraiment passé dans cette enclave de Bosnie orientale ?
Rappel des faits
Nous sommes en 1995 pendant la guerre de Bosnie-Herzegovine. Emmenées par le général Ratko Mladic, les troupes serbes s’adonnent à un véritable massacre de la population bosnienne qui, sous les bombardements, est contrainte d’abandonner affaires et maisons pour fuir leurs villages.
À Potocari, un camp de 400 Casques bleus de nationalité néerlandaise, le Dutchbat, est installé sous mandat de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Sous les ordres du lieutenant-colonel Thomas Karremans, ces hommes ont pour mission de protéger la région de Srebrenica qui abrite 60 000 musulmans réfugiés du conflit serbo-bosniaque.
Mais devant l’afflux des populations constituées en majorité de femmes, d’enfants et de personnes âgées, les autorités du camp sont dépassées. Le manque de places disponibles contraint les familles à s’installer autour du campement onusien. Certaines tenteront de rejoindre Tuzla, ville bosnienne la plus proche, des milliers d’autres resteront jusqu’à l’arrivée des troupes serbes dans la région le 13 juillet.
L’ampleur du conflit est telle que le Dutchbat négocie avec l’armée serbe une évacuation des civils vers Tuzla. Si femmes et enfants partent bien en bus pour rejoindre la ville la plus proche, tous les hommes sont contraints de rester au camp en vue d’être inspectés par l’armée serbe qui cherchent à retrouver les combattants leur ayant, jusqu’à lors, échappés.
C’est bien là le dilemme que devront affronter les Casques bleus. Laisser fuir les populations les plus fragiles et livrer les 300 hommes de ce camp au général Ratko Mladic.
Comme beaucoup d’autres avant eux, tous seront assassinés.
Du massacre de Srebrenica à la reconnaissance du génocide bosnien
Ce conflit armé bafoue les droits de l’homme érigés dans le Charte des Nations-Unis. Au total entre 6500 et 8000 musulmans trouveront la mort, violés, torturés et assassinés de sang-froid par les troupes du général Ratko Mladic.
Alors, devions-nous qualifier ce massacre comme étant un génocide ?
Le terme de génocide a été utilisé pour la première fois par Raphaël Lemkin pour définir les crimes perpétrés par les troupes nazies à l’encontre des populations juives pendant la Seconde Guerre mondiale. À ce titre est reconnu comme crime contre l’Humanité le génocide arménien, le génocide du Rwanda.
Selon le dictionnaire Larousse, un génocide est un » Crime contre l’humanité tendant à la destruction totale ou partielle d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux ; sont qualifiés de génocide les atteintes volontaires à la vie, à l’intégrité physique ou psychique, la soumission à des conditions d’existence mettant en péril la vie du groupe, les entraves aux naissances et les transferts forcés d’enfants qui visent à un tel but. »
En ce sens, le tribunal de La Haye reconnaît, le 2 août 2001, le massacre de Srebrenica comme crime contre l’humanité en qualité de génocide religieux des populations musulmanes bosniaques. Lors de la réouverture de l’enquête, le dossier porté devant les autorités néerlandaises avait eu raison du gouvernement en place emmené par Wim Kok. En février 2007 la Cour internationale de justice, puis par le Parlement européen retiendront les mêmes qualifications.
C’est sur cette dénomination que les Mères de Srebrenica, association regroupant les mères et épouses des victimes, portent accusations sur les troupes hollandaises et a fortiori l’État des Pays-Bas.
De décisions contradictoires au jugement final
« Le Dutchbat n’aurait pas dû laisser partir les hommes de leurs bâtiments. Ils auraient dû tenir compte de la possibilité que ces hommes seraient victimes de génocide. ». Voici ce que déclare, Larissa Elwin, juge de la Cour pénal internationale à l’audience du 16 juillet 2014.
Avant de retenir ces qualifications, la plus haute autorité pénale internationale, dans un arrêt du 10 septembre 2010, avait rejeté les accusations portant l’État néerlandais responsable de la mort des 300 hommes de Srebrenica sur le motif que la région était soumise au commandement onusien et non sous protection des Pays-Bas.
Oui, mais voilà, cet attendu était impossible à suivre. Juridiquement, l’ONU détient une immunité statutaire et donc pénale.
Ce sont deux arrêts de juillet 2011 et septembre 2013 qui orienteront la décision finale de la Cour de La Haye. Jugé pour avoir chassé de leur camp trois Bosniaques qui furent ensuite assassinées par l’armée serbe, l’État hollandais s’était alors rendu responsable des actes de ses soldats. Dès lors l’État devait indemniser les victimes à hauteur de 20 000 euros chacune.
Cette décision sera finalement reprise dans le jugement du 16 juillet, les autorités commandantes « auraient dû tenir compte de la possibilité que ces hommes seraient victimes de génocide […]. On peut affirmer avec suffisamment de certitude que si le Dutchbat avait permis à ces hommes de rester sur place, ils seraient restés en vie ».
Ce qu’il faudra retenir de cette décision
Si les Mères de Srebrenica n’ont pas obtenu la condamnation de l’État néerlandais comme responsable de la mort des réfugiés ayant fui le camp, le jugement final de la Cour pénale internationale ouvre la possibilité d’indemnisation des victimes plaignantes par les Pays-Bas, mais surtout, l’attendu apporte une nouvelle conception des missions onusiennes.
Désormais se seront les États qui seront responsables des actes des troupes qu’ils ont envoyées. Cette décision est déterminante pour les envois futurs de contingents onusiens dans le cadre de mission de paix. Aussi, peut-on craindre un désengagement de la communauté internationale suite à cette décision ?
Ce massacre de Srebrenica reste un sujet délicat dans cette partie de l’Europe du Sud. En 2013, le président serbe Tomislav Nikolic, avait présenté ses excuses nationales au peuple bosniaque, reconnaissant qu’un crime « horrible » avait été connu par les troupes du général Ratko Mladic, sans toutefois employer le terme de « génocide ».