L’histoire de la publicité dans la presse écrite

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La publicité est une source de revenus importante pour une partie de la presse, la vente des tirages étant insuffisante pour les financer. Plusieurs stratégies se mettent en place : certains journaux font même le choix d’être gratuits et vivent uniquement grâce à la pub (ex : 20 Minutes), d’autres se privent de la publicité et vivent grâce à leurs abonnements (ex : Le Canard enchaîné ou Médiapart). Ces choix peuvent être également arbitrés par idéologie (ex : Mr Mondialisation qui se reconnaît comme un média anticapitalisme et n’utilise donc jamais la publicité comme financement).

Conscients des difficultés de la presse lors de leur lancement, ils s’opposent d’une certaine manière à des journaux plus traditionnels (Le Figaro, Le Monde, Le Parisien) qui ont dû faire face à la crise de la presse et s’adapter pour éviter de faire faillite (publicité/abonnements).

Nous allons donc nous concentrer sur l’histoire, les caractéristiques et les controverses autour de la publicité dans la presse, en nous demandant si la presse et la publicité sont indissociables l’une de l’autre et en nous interrogeant sur les enjeux de cette relation entre les deux.

Pour répondre à cette question, nous verrons d’abord l’histoire de la publicité dans la presse et ses critiques puis nous prendrons l’exemple du magazine L’Express pour expliciter l’importance de celle-ci.

I. Histoire et enjeux

A. Chronologie de l’apparition de la publicité dans la presse

En réalité, une forme proto-publicité existe déjà depuis 1628 avec la création par Théophraste Renaudot du « Bureau d’adresses ». Il regroupe des annonces de ventes et d’achats de biens immobiliers ou fonciers, mais aucune rémunération n’est versée par les annonceurs en contrepartie. Outre-Manche, l’apparition de la publicité dans la presse est datée de 1660 dans la revue le London Gazette. Il s’agit d’une annonce pour du dentifrice.

Il faudra attendre le XIXe siècle pour que la presse devienne un canal d’information de masse grâce au progrès technique, à l’augmentation des lettrés, et à l’enrichissement des populations. La publicité fait son entrée dans les journaux en 1836 dans le quotidien La Presse créé par Émile de Girardin. Ce choix traduit la volonté de réduire drastiquement le prix d’achat de son journal pour permettre s’ouvrir à un électorat plus populaire.

On y retrouve des annonces de biens et de services par des marques, des artisans et des médecins. En ce sens, Émile Girardin révolutionne l’approche du financement de la presse. À la fin du XIXe siècle, la publicité représente 20 % des recettes totales engrangées par la presse.

C’est à compter des années 1950 que les recettes de la presse grâce aux publicités atteignent près de la moitié des revenus totaux des médias. L’historien de la presse, Patrick Eveno, parle d’une « ère publicitaire » qui déclinera en 1990 avec l’entrée dans l’ère numérique qui offre des possibilités d’affichage bien supérieures à celle des pages papier. En conséquence, certains types de publicités tels que les annonces immobilières migrent sur la toile.

Pour Patrick Eveno « l’information n’a jamais été rentable» et l’arrivée d’internet ne fait que d’accroît un modèle en crise et les aides attribués par l’État ne sont pas des solutions viables pour renouveler l’information et attirer le lecteur ayant perdu intérêt dans la presse. Heidi Tworek, doctorante à l’université Harvard, estime qu’à l’inverse des années 1970-1990, âge d’or indiscutable de la presse, les lecteurs sont de moins en moins enclins à payer « le coût réel de l’information » puisque la presse n’a plus le monopole de sa distribution. Certains sites internet sont spécialisés exclusivement sur certaines thématiques sport, musique ou culture et concurrencent les médias traditionnels.

B.     Une interdépendance des deux entités

La France est l’un des pays industrialisés les plus critiques à l’égard de la publicité lui prêtant des fonctions « inutiles, immorales, abêtissantes et uniformisatrices » selon Myriam Tsikounas dans La publicité, une histoire, des pratiques. On peut légitimement se demander si la publicité est aussi inutile que les commentaires le disent ?

Patrick Eveno parle de « consubstantialité originelle », pour signifier que l’une ne pourrait exister sans l’autre. En effet, si la présence de publicité dans les journaux et les médias est devenue une norme, elle permet aux annonceurs comme aux médias de trouver un équilibre qui les sert conjointement. Certes, une majeure partie des recettes de la presse repose sur les pages publicitaires (se faisant, séparer l’information de la publicité reviendrait à soustraire ces revenus des médias), mais la publicité a aussi besoin de la presse pour atteindre un plus large public.

La signification du mot « média » renvoie à celle de « médium ». La presse reste un moyen privilégié pour les annonceurs et les marques d’atteindre les lecteurs. Ceci s’inscrit dans une logique de consommation dans laquelle le lecteur de journaux est considéré comme un potentiel client. Cette situation explique pourquoi les médias qui ont le plus d’audience attirent le plus les annonceurs. Ainsi, au cours des années 2000, les annonceurs ont investi 14 milliards dans les grands médias.

C. Les controverses autour de la publicité dans la presse

Dès son apparition dans la presse la publicité est critiquée : en 1936 Louis Blanc, journaliste et historien, affirme que « le journalisme allait devenir le porte-voix de la spéculation ». La publicité dans la presse, bien que permettant une baisse de prix du titre, est alors perçue comme un moyen de faire du journalisme une opération commerciale. 

Il est à noter qu’avant les années 1950, il n’y a pas de distinction nette entre information et publicité : les annonces commerciales étant intégrées dans les colonnes de la même manière que des articles purement informationnels. Ainsi, bien que le contenu soit tout à fait différent des articles des journaux la mise en page et la forme des annonces ne sont que très peu différentes de celles de l’information. Existe même une publicité rédactionnelle maquillée sous forme d’un article informatif. 

Une publicité rédactionnelle se définit comme « une publicité presse qui se présente sous la forme d’un contenu rédactionnel pouvant passer pour un contenu éditorial et non pour ce qu’elle est vraiment ».

Comme on peut le voir dans cette publicité pour le champagne Mum (dessin d’Adolphe Willette – 1905), le caractère publicitaire n’est signalé nul-part sur l’illustration et le dessin de Willette pouvait donc tout à fait se faire passer pour une illustration d’article classique.

Depuis, la loi du 1eraoût 1986 impose une mention obligatoire du caractère publicitaire du contenu rédactionnel, ce genre de publicité ne peut donc plus exister, la publicité rédactionnelle a pris une nouvelle forme.

II. Étude de cas : le magazine L’Express

L’Express est un magazine hebdomadaire français créé en 1953 par Jean-Jacques Sevran-Schreiber et Françoise Giroud. Depuis 1964, il est considéré comme un newsmagazine c’est-à-dire un magazine d’actualité  prenant exemple sur le modèle du Time.

Le dictionnaire en ligne Sans Agent Le Parisien définit un magazine d’actualité comme « une publication périodique qui propose un retour sur l’actualité en se présentant sous la forme d’un magazine. Souvent hebdomadaire ou bimensuelle, cette publication cherche généralement à fournir à son lectorat une analyse un peu plus détaillée que celle qu’il peut trouver par ailleurs dans la presse quotidienne. »

Le magazine fera la différence par son style : il est le premier, en France, à utiliser le papier glacé qui est aujourd’hui propre aux magazines.

Cependant, L’Express se distingue aussi du reste de la presse écrite par sa stratégie à l’égard de la publicité : les publicités sont plus nombreuses et plus visées. À ses débuts, une page de publicité se glissait toutes les 3 ou 4 pages du magazine et il s’agissait surtout de publicités pour des parfums ou du prêt-à-porter de luxe.

En effet, L’Express vise un lectorat jeune, moderne et riche et propose un contenu publicitaire, tout comme un contenu informationnel, adapté à ce dernier. La publicité est sélectionnée : il ne s’agit pas juste de financer le magazine, mais aussi de proposer aux usagés des produits qui leur correspondent.

Aujourd’hui, L’Express est un média à trois formats : il sort de manière hebdomadaire un nouveau numéro du magazine (vendu à 4€95 ou livré directement aux domiciles des abonnés au magazine chaque semaine) et propose des articles gratuitement sur son site internet et son application mobile. Il propose aussi sur ces plateformes numériques des articles exclusifs pour ses abonnés. L’Express est aussi présent sur les réseaux sociaux Facebook, Twitter, Instagram et Snapchat.

A.   Le magazine (format papier) et la publicité

La publicité dans le magazine a gardé la même forme qu’à son lancement, mais elle est un peu plus nombreuse : sur le numéro 3563 du 16 octobre 2019, près de 30% (75 sur 280) des pages sont consacrées à la publicité. Néanmoins, ce pourcentage ne comprend la publicité rédactionnelle : pour les articles « mode », par exemple, une illustration peut être faite avec un produit sponsor du magazine.

La publicité rédactionnelle prise en compte dans les statistiques, le pourcentage tourne aux environs des 45%. Les publicités de prêt-à-porter, de montres et de parfum de luxe sont toujours très présentes dans les pages du magazine et sont accompagnées surtout par des publicités de voitures (surtout présentes dans la rubrique consacrée aux voitures de ce numéro) ; il y en a aussi pour des agences immobilières et d’autres magasins et marques.

B.    L’application mobile et le site Internet

Le fonctionnement de la publicité sur l’application mobile et internet est le même : selon la taille de l’article, une ou plusieurs publicités apparaissent entre différentes parties de celui-ci. En plus, à la fin de chaque article L’Express nous propose des liens allant soient vers d’autres articles de leur rédaction ou alors vers des contenus sponsorisés (publicité rédactionnelle) prenant exactement la même forme que les autres liens, mais menant aux sites internet des marques.

Il est possible de ne pas avoir de publicités sur ces plateformes grâce à l’abonnement numérique proposé par L’Express, les abonnés au magazine disposent aussi de cette fonction. Cependant, les abonnés au magazine ne reçoivent pas de numéros spéciaux sans publicités, cette fonctionnalité n’est présente que sur le site internet et l’application mobile. Les abonnés (numérique et magazine) ont aussi accès à des articles exclusifs sur le site/l’application.

Conclusion

Nous avons pu voir que la publicité est, depuis 1831, un élément partenaire de la presse. Ces deux unités sont d’une certaine manière indissociables vu que la publicité représente pour une grande partie des médias leur source de revenus principale. Cependant, la publicité étant très controversée les médias sont obligés de s’adapter pour augmenter leurs recettes. Aujourd’hui la presse (écrite et numérique) met en place des abonnements donnant accès à leurs membres à des articles exclusifs et surtout, pour le cas des abonnements numériques, la suppression de la publicité.

La publicité peut donc être dissociée de la presse, c’est aux médias eux-mêmes de choisir une stratégie publicitaire correspondant le mieux à leur lectorat et/ou à leur propre idéologie (exemple : Mr Mondialisation vit uniquement de ses abonnements et de dons, car il se positionne comme anticapitaliste). De plus, la publicité peut elle aussi continuer à exister en dehors de la presse grâce à sa place importante dans les autres médias (Télévision, radio et réseaux sociaux).

Il est aussi important de se rendre compte que grâce aux réseaux sociaux, les médias peuvent établir leur propre promotion leur offrant une nouvelle autonomie par rapport à la publicité. Les médias de la presse sont de plus en plus « au point » sur les nouvelles technologies et leur contenu est donc de plus en plus adapté aux internautes et aux contraintes de la sphère d’Internet. On pourrait donc se demander si ce nouveau fonctionnement mènera finalement à la fin de la publicité dans la presse ?

Zafitiana Cissy & Andréa Gamot

— Bibliographie —

  • ROCHE Émilie, septembre – décembre 2017, « 1945-1962 : l’indépendance de la presse revendiquée », Cours C5MA01 Histoire de la communication. Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3.
  • ALVES-CHAINTREAU Thomas, septembre – décembre 2019, « Chapitre 2. L’apparition des médias de masse – cas français », cours Médias et espace public, Université Paris 8 Vincennes – Saint-Denis.
  • TSIKOUNAS Myriam, « La publicité, une histoire, des pratiques », Sociétés & Représentationspages 195 à 209, 2010.EVENO Patrick, « Médias et publicité : une association équivoque, mais indispensable », Nouveau Monde, éditions « Le Temps des médias » pages 17 à 27, 2004.
  • MAD Paris, « Chronologie de la publicité dans la presse ».
  • L’Express numéro 3563– mercredi 16 octobre 2019, édition numérique.
  • L’Express– Actualités Politiques, Monde, Économie et Culture, 2019.

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