L’histoire du Journal Télévisé en France

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Le 13 juin 2019, Anne-Sophie Lapix et Laurent Delahousse, les deux présentateurs vedettes du journal de France 2, animaient une soirée spéciale sur la première chaîne du service public pour célébrer les 70 ans du journal télévisé (JT). Ce format d’émission tourné vers l’information quotidienne est donc un vétéran des premières heures dans le paysage audiovisuel français (PAF). Une ancienneté qui induit une histoire riche, conjuguée à celle de la télévision. Une histoire qui est donc technique, sociale et politique.

En 70 ans c’est plus qu’un format (relativement variable) mais surtout un genre qui s’est construit tels le western ou la comédie au cinéma. Un genre définit aujourd’hui par une heure fixe, un présentateur ou une présentatrice unique qui s’appuie sur les images pour présenter les actualités quotidiennes en un temps relativement restreint. Fort de son passé, le JT est aujourd’hui encore une référence et un rendez-vous quotidien pour des millions de Français réunis devant les éditions de la mi-journée ou du début de soirée. Cependant, le format semble s’inscrire dans une technologie (la télévision) quelque peu dépassée par la révolution internet, qui modifie les dimensions de l’information (temps, espace, accès), et dont les audiences sont en baisse constante depuis 20 ans.

Aussi, nous pouvons nous demander comment le JT actuel s’est-il construit et quels sont ses défis ? Nous étudierons donc dans un premier temps l’histoire de l’évolution du journal télévisé tel que nous le connaissons aujourd’hui. Puis nous détaillerons les critiques auxquelles le format du JT fait face, notamment dans un contexte de crise, et comment les professionnels y réagissent.

I. Émergence d’un nouveau média

  1. L’héritage des actualités filmées

Le journal télévisé n’est pas une invention de la télévision, du moins pas dans la forme qu’il prend entre les années 1949 et 1970. Bien que le terme de journal télévisé apparaît en même temps que sa première représentation en 1949, le format de l’émission s’inspire grandement des actualités filmées que l’on pouvait trouver au cinéma. Une nouvelle édition de ces dernières apparaît de manière hebdomadaire au cinéma à partir de 1909, sous le nom de Pathé-Journal.

C’est un rendez-vous cinématographique qui laisse place à l’émotion et au spectacle, seuls les grands événements sont filmés, on peut voir à ce moment-là des rencontres sportives, des défilés militaires, des communications et moments politiques à l’écran. Le cadre est la plupart du temps fixe et des musiques ajoutent de l’émotion aux nouvelles muettes ou alors que la voix d’un présentateur non visible à l’écran (appelé voix off) explicite parfois les images.

Cependant après la Seconde Guerre mondiale les actualités filmées sont moins regardées. Et les masses se tournent peu à peu vers la télévision avec l’enrichissement de la population. Témoin de l’émergence de la télé, le service de radiodiffusion française (RDF) devient le 9 février 1949 le service de radio télédiffusion française. Et ce n’est que 4 mois plus tard que le premier journal télévisé est diffusé le 29 juin 1949 à 21 h pendant 15 min. Il est présenté par Pierre Sabbagh et son équipe. L’émission est transmise sur 3 000 récepteurs individuels, et ce seulement à Paris, car l’antenne de diffusion est fixée en haut de la tour Eiffel. Le peu de postes ayant reçu l’émission témoigne que l’on se situe à cette époque aux prémices de la télévision.

2. Les débuts, un monopole d’État : 1949 – 1970

L’État n’accorde que peu d’importance à la télévision à la sortie de la guerre, et le premier journal télévisé est plus le résultat de l’initiative de Pierre Sabbagh plutôt que d’une politique gouvernementale. La présence d’une seule antenne de relais placée en haut de la tour Eiffel prouve le peu d’intérêt que l’État accorde à la télévision, de fait la population touchée est très minoritaire à cette époque-là.

Il faut attendre 1950 pour voir la première antenne régionale être dressée à Lille et la demi-décennie qui suit pour constater la couverture par la télé de la quasi-totalité de la France métropolitaine.

D’un point de vue logistique, l’absence d’investissement de l’État est encore flagrante, l’équipe chargée du journal ne dispose que de deux caméras pour sa première édition. Les images sont toutes prises à proximité du centre de diffusion à Paris : l’équipe ne possède qu’une camionnette ; les images sont prises par un effectif réduit dans la matinée ou le début de journée pour être montées dans la fin d’après-midi.

Cette absence de moyens empêche le journal télévisé d’adopter une autre forme que celle dont il s’inspire. En effet, au début des années 1950, les JT ressemblent beaucoup à ce que l’on peut observer dans les actualités filmées. Il ne consiste qu’en une suite de captations visuelles (les premières caméras avec son n’apparaissent en France qu’à la fin de la première moitié des années 50) d’évènements types cérémonies, rencontres sportives, etc. où la mise en scène est importante.

Les images sont souvent commentées en direct sans que le commentateur soit visible à l’écran. Peu à peu les moyens accordés au JT augmentent et sa forme se distingue des actualités filmées projetées aux cinémas. En 1952, l’accession au trône de la reine d’Angleterre Élisabeth II sera par exemple commentée en direct à la télévision.

Dans la même période la multiplication des caméras permet la naissance des reportages, menés caméra à l’épaule par les reporters qui enquêtent et font du journalisme de terrain. La place de l’image est importantissime à cette époque parce qu’elle a un rapport très particulier avec l’information. Ainsi de 1954 à 1963 se développe la “télévision d’enquête” qui baigne dans ce que Mme Coulomb-Gully appelle le “fantasme de média sans médiation”.

La télévision retransmet l’image et le son d’un événement, aussi, les journalistes estiment qu’ils suffisent à dévoiler la vérité. Les biais du média sont totalement inexistants à cette époque-là, la télévision est présentée comme un média neutre et objectif.

Le journal télévisé connaît un tournant en 1963 avec la reprise en main de la télévision sous les mandats de De Gaulle (1958-69) mais aussi la naissance d’une nouvelle forme de JT, le “journalisme d’examen”. Cette période est illustrée par l’assujettissement de l’ORTF (anciennement RTF) au ministère de l’Intérieur et la création du Service de liaison et d’information interministérielle en 1963 qui permet un contrôle continu de la diffusion télévisuelle. Le rédacteur en chef de l’ORTF passe devant le ministre de l’Intérieur tous les matins pour présenter le programme du jour ou accueillir les observations sur le programme de la veille.

Ce contrôle du pouvoir n’a pas empêché le journal télévisé de se renouveler en passant d’un “journalisme d’enquête” à un “journalisme d’examen” dont le credo est “révéler, découvrir, décortiquer” selon les mots de M. Desgraupes (rédacteur en chef de l’ORTF). Ce nouveau JT est caractérisé par l’apparition de la division entre le reportage et le studio et la présence dans ce dernier de spécialistes qui discutent les reportages avec le présentateur ou les présentateurs qui présentent des graphiques pour appuyer ses propos. Le contrôle trop répressif et constant du gouvernement mène cependant le JT vers une crise.

Le 10 mai 1968, des manifestations d’étudiants tournent en émeutes puis en affrontement avec la police, les blessés sont importants et les dégâts matériels encore plus, mais au JT du soir aucune mention de ces évènements n’est faite. Les producteurs, opposés à la censure, lancent une grève le 11 mai qui ne se terminera que le 25 juin par la reprise du travail et le renvoi de plus de 200 professionnels de la télévision ainsi que la suppression d’émissions dites “subversives”. De 1968 à 1970, le journal télévisé connaît un déclin d’audience, car il est jugé trop morne, trop censuré. Il faut attendre les années Pompidou pour pouvoir observer le réveil du JT sous le ciel du libéralisme.

3. La libéralisation de l’information télévisée : 1970 – 2000

La télévision française est donc mise sous la tutelle par l’État à travers l’ORTF, organe rattaché au Ministère de l’Information. Elle et par conséquent le journal télévisé constituent un outil politique à l’usage du pouvoir, la liberté de programmation s’étant réduite à mesure que la télévision s’imposait dans la société française.

En opposition à celle précédemment étudiée, la période s’étendant des années 1970 au début des années 2000 est caractérisée par une progressive libéralisation de la télévision et donc du journal télévisé. En plus de ce processus qui se fait par étapes, le journal télévisé se dote de nouveaux outils et de nouvelles caractéristiques, qui se sont pour la plupart maintenus jusqu’à aujourd’hui.

a. Des innovations…

Parmi les innovations les plus marquantes ayant vu le jour au cours de cette période, on compte notamment le téléprompteur ainsi que l’arrivée du présentateur unique. Ces deux innovations se font de façon concomitante.

Jusqu’à la fin des années 1960, la présentation du journal télévisé était effectuée non pas par un, mais par plusieurs journalistes. Cette méthode de présentation, connue sous le nom de “tournette”, a fait son apparition en 1954. Ainsi, un journal télévisé se présentait généralement sous la forme d’un enchaînement de reportages entrecoupés par les commentaires des trois ou quatre journalistes présents sur le plateau. Ces journalistes faisaient part aux téléspectateurs de leurs analyses dans leurs domaines de prédilection, ce qui avait pour conséquence une rotation des journalistes présents en plateau en fonction des sujets d’actualité.

Si la personnification de l’information était alors supérieure à la situation d’avant 1954 où les reportages étaient commentés en direct de la cabine par un journaliste dont on ne voyait pas le visage, cette personnification reste donc à ce stade encore très faible.

L’idée d’introduire un présentateur unique émane de Pierre Desgraupes, nommé président de l’ORTF en septembre 1969 par Jacques Chaban-Delmas, Premier ministre du nouveau Président de la République Georges Pompidou. En s’inspirant du modèle provenant des États-Unis de l’“anchorman”, un présentateur censé être charismatique et devant incarner l’information, Desgraupes cherche par ce procédé à fidéliser l’audience en crédibilisant l’information, grâce à l’instauration d’une relation de confiance presque personnelle entre chaque téléspectateur et le présentateur, qu’il retrouve à chaque édition du JT.

Cette expérience dure concrè d’octobre 1971 à juillet 1972, Jacques Pasteur incarnant pendant cette période le nouvel acteur du journal télévisé. Cette innovation ne survit toutefois pas au départ de Desgraupes de l’ORTF en 1972. Il faudra attendre 1975 pour que l’idée soit reprise après l’éclatement de l’ORTF, plusieurs des six nouvelles chaînes la réutilisant.

Parallèlement à “l’invention” du présentateur unique, celle du téléprompteur (un dispositif permettant à un présentateur de lire un texte défilant sur un écran placé dans l’axe de la caméra le filmant) intervient au début des années 1970. C’est également Desgraupes qui se retrouve à l’origine de son utilisation en France. Permettant en premier lieu d’éviter les erreurs de texte lors de la présentation du journal télévisé, ce dispositif technique a également un objectif moins explicite qui est d’accentuer la relation du présentateur avec le téléspectateur, puisqu’il semble alors le regarder droit dans les yeux (alors qu’il lit). À travers cette communication visuelle, c’est l’idée d’une information directe, de confiance que les instigateurs de cette innovation cherchent à imposer. Le présentateur apparaît en effet plus confiant et hésite moins que lorsqu’il lit ses notes.

Au final, ces innovations techniques instaurées par le journal télévisé ont pour fonction de renforcer sa crédibilité, la cadre global (plateau, attitude du présentateur (unique)…) dans lequel il se déroule apparaissant comme plus stable. Cette ambition s’inscrit plus largement dans une volonté de fidéliser une audience que non plus une seule, mais progressivement plusieurs chaînes se disputent au cours des années 1970 et 1980.

b. … poussées par une libéralisation du secteur ?

Nous l’avons dit, cette période d’innovation va de pair avec une libéralisation de la télévision. Le journal télévisé se trouve dès les années 1970 pris dans une situation de concurrence entre les chaînes, dont le nombre ne fait qu’augmenter.

Le gouvernement Chaban-Delmas décide de la création de deux chaînes en sous le giron de l’ORTF : Information premièreet 24 heures sur la 2. Une certaine concurrence se met en place entre elles, notamment au niveau de l’information, le journal télévisé n’étant plus diffusé sur un unique canal comme jusqu’alors.

Cette mise en concurrence prend une autre dimension avec l’éclatement de l’ORTF le 6 janvier 1975 et la naissance de 3 chaînes (TF1, Antenne 2 et FR3) puis 6 dans les années 1980.

Les rapports avec le pouvoir politique étant dès lors bien plus limités, la télévision acquiert une certaine autonomie, et introduit de nouvelles manières de présenter le journal télévisé. À cette époque, le JT n’est plus un programme comme les autres, servant simplement à remplir les plages horaires. Il est déjà, en théorie au moins, un “rendez-vous” doté d’un public fidèle et grandissant.

Ainsi, les éditions du journal télévisé se multiplient avec cette apparition de nouvelles chaînes et la concurrence est accrue entre ces dernières.

La “dernière étape” de cette libéralisation est constituée par l’arrivée des chaînes privées dans les années 1980, à savoir principalement la création de Canal +  en 1984, et la privatisation de TF1 en 1987. La concurrence entre les chaînes ne se fait donc plus seulement entre des organismes publics, mais aussi avec des entités privées. On voit dès cette décennie de réelles différences se former entre les journaux télévisés des 6 chaînes : TF1 présente un JT fortement inspiré du modèle américain, avec un poids de l’image plus important que sur d’autres chaînes, pour une information fortement personnifiée (à travers son présentateur unique, Patrick Poivre d’Arvor). Sur Antenne 2, le présentateur se place plus en retrait, l’information est plus généraliste avec des images moins présentes. Enfin, Canal+ se distingue par l’apport de l’humour, voire de l’insolence, dans son édition du JT, s’inspirant du style des années 1950 et 1960, où la part d’improvisation laissée au journaliste était plus importante.

 

II. Le JT : un genre à part entière

Ainsi, si des différences se sont creusées au cours de cette période, un format de journal télévisé s’est progressivement imposé comme étant le plus populaire, à savoir la double édition midi et soir (vers 13h et vers 20h), pour une durée de 30 à 40 minutes. En fait, le constat semble être que le journal télévisé s’est banalisé, tout comme l’information en elle-même. En septembre 1993, Télérama parle d’un “rendez-vous rituel, pavlovien”, pour une communauté que le JT est censé rassembler autour de valeurs et de centres d’intérêts communs.

Dans le cadre de cette période qui a vu naître de nombreuses innovations (auxquelles on pourrait ajouter l’apparition de la publicité, corollaire de la mise en concurrence), qui a vu la progressive libéralisation de la télévision, la multiplication des éditions du JT, ce dernier s’est retrouvé critiqué à la fin des années 1990 et au début des années 2000.

1. Des critiques inhérentes au format

Le JT se retrouve pris dans une crise d’identité à cette période. En effet, avec la mise en concurrence et la volonté de chaque chaîne de fidéliser son audience, le spectre de l’information traité par le JT s’est rétréci afin de présenter une information plus fédératrice.

À cela s’ajoute le poids pris par le visuel. En effet le genre du JT peut se trouver prisonnier des images. Devenues support de l’information, celles-ci sont parfois guidées par la disponibilité de contenu visuel. Par exemple, une guerre d’ampleur au Yémen, mais avec peu d’images à disposition verra son temps d’antenne raccourci. A l’opposé, les images proposées issues de banques d’images auxquelles les rédactions sont abonnées, sont généralement peu évocatrices des réalités évoquées. On y retrouve des images génériques de sable, de matériels militaires et de soldats en kaki, des images quasiment identiques à celles diffusées lors d’autres guerres au Moyen-Orient.

Le spectateur ne peut que difficilement exercer son esprit critique puisque le fond est régulièrement délaissé par des reportages courts où les images, plus que les commentaires, sont centrales.

Sur le fond, on peut formuler une critique du traitement de l’information de manière événementielle et anecdotique. En effet, le JT met souvent en avant les “Gros titres” qui ne permettent pas de contextualiser les informations sur le long court, préférant le sensationnalisme. Le JT se trouve soumis à la pression des audiences, renforcée depuis la libéralisation et la création des chaînes privées, dont le modèle économique est basé sur la publicité. Dans ce contexte, puisqu’il s’agit de plaire en informant, la frontière entre divertissement et information semble floue.

2. Un format en crise

Nous avons vu que le Journal télévisé est un format qui s’est structuré depuis les années 50 pour tendre vers une formule traditionnelle : le 20h, une trentaine de minutes d’informations, animées par un présentateur unique à l’attitude plutôt solennelle, et constituées d’un enchaînement de “sujets”. Les évolutions sont minimes dans les années 90 et au début des années 2000, mais le déclin relatif de cette formule l’oblige à se réinventer. En effet, si le Journal de TF1 (le plus regardé) attirait entre 15 et 20 millions de téléspectateurs dans les années 90, les audiences sont tombées autour des 8 millions en 2008 et sous les 6 millions aujourd’hui.

Le journal télévisé fait face à deux évolutions : la multiplication de la concurrence et la révolution des communications et de l’information.

En 2000 la télévision française proposait 6 chaînes “gratuites”, elles sont 27 aujourd’hui. Sur la case du journal du soir, 5 chaînes sont présentes (TF1, France 2, France 3, M6, Arte), avec des horaires et des angles différents (voir encadré), mais cette diversité divise les audiences.

En 2005 la TNT s’est déployée sur le territoire français permettant la création de chaînes spécialisées (musique, sport, jeunesse …), mais aussi de chaînes d’informations en continu. Elles sont actuellement au nombre de 4 (BFM TV, CNEWS, LCI et France Info). Ces chaînes sont en quelque sorte des “JT permanents”, disponibles à tout moment de la journée et concurrençant donc le format du journal télévisé à heure fixe. De plus les chaînes d’information en continu permettent de suivre en direct les événements qui font l’actu (ex : les manifestations des gilets jaunes) et offrent un cadre moins formel.

Dans le même temps, l’information du début de soirée est concurrencée par d’autres émissions plus longues portées sur le divertissement, le magazine ou l’infodivertissement (TPMP, C à vous, Quotidien) qui sont en croissance depuis quelques années.

Conjugué à cette concurrence dans le paysage télévisuel français, le journal télévisé souffre surtout d’un déclin généralisé de la télévision. En effet elle est confrontée à l’émergence de nouveau contenus vidéos liées au développement d’internet (plateforme de vidéo à la demande, sites d’hébergement de vidéo …). Le petit écran touche donc moins les jeunes générations et la moyenne d’âge des téléspectateurs vieillis. Cette tendance concerne les journaux télévisés. Pour France 2, la moyenne d’âge des téléspectateurs du JT est 55 ans et 60 ans pour TF1 dont l’audience a vieilli de 5 ans en 10 ans.

3. Un besoin de renouvellement

Plus que la télévision, internet, en réinventant les communications, révolutionne l’information qui devient disponible en quasi-temps réel et non seulement via les chaînes d’information en continu, mais aussi sur smartphone depuis les applications des médias ou les réseaux sociaux. Ces derniers permettent d’ailleurs de supprimer l’intermédiaire qu’est le journaliste entre “l’information brute” et le citoyen puisque des personnalités et des institutions peuvent s’exprimer et communiquer directement sur ces derniers. À l’instar de la presse, le Journal Télévisé à heure fixe devient donc une singularité. Un problème d’immédiateté qui pourrait être une des explications du déclin du format.

Ce constat, effectué par les professionnels du JT, les amène donc à repenser et à réinventer l’approche du journal. Leur approche peut-être résumée par Gilles Bouleau, présentateur du JT de TF1 : “ À mon avis, le JT ne mourra pas dans un avenir prévisible. Je ne vois pas comment, dans un monde pollué par les fake news, il n’y aurait pas de demande sociale pour des journaux télévisés étayés et vérifiés, réalisés par des professionnels, permettant de clarifier la complexité des choses.”

Le format doit donc se caractériser par une information “vérifiée” qui légitime un sérieux et qui concurrencera les chaînes d’informations en continu souvent accusées de relayer des informations sans vérification. Le journal de France 2 suit également le même raisonnement et propose depuis quelques années la rubrique “L’oeil du 20H” qui présente des informations “inédites” en proposant des mini-enquêtes et du débunkage. Dans la même interview, Gilles Bouleau déclare aussi “Nous pensons aussi que plus un sujet est compliqué à comprendre, plus il est abscons, plus il est difficile à mettre en images, plus il faut le prendre à bras-le-corps et le raconter”.

On observe en effet l’importance de l’explication et de la pédagogie dans la construction du JT. Les rubriques animées par des spécialistes (des journalistes de la chaîne en opposition aux “spécialistes” extérieurs des chaînes d’information) qui interviennent en plateau sont de plus en plus fréquentes. Depuis quelques années les nouvelles technologies de la réalité virtuelle ont également révolutionné l’utilisation de l’infographie à l’écran qui est maintenant largement exploitée par les “spécialistes” lors du JT.

Enfin, pour lutter directement avec la concurrence télévisuelle et se démarquer, une grande attention est portée aux programmes placés avant et après le JT (souvent un programme humoristique qui permet de trancher avec le “sérieux” du JT). France 2 intègre même un magazine culturel animée par le présentateur du JT avant l’édition du dimanche soir : 20H Mag.

4. Un rendez-vous qui reste traditionnel

Il faut cependant modérer le déclin du JT puisqu’il reste tout de même, à l’heure de l’éclatement des audiences, une référence incontournable. Ainsi, les journaux télévisés du 20h de TF1 et France 2 regroupent près de 50% des parts d’audience. Le journal de TF1 est d’ailleurs le plus regardé d’Europe.

L’histoire nous enseigne également que l’apparition de nouveaux médias ne signifie pas la disparition des précédents, mais un élargissement du spectre médiatique et une concurrence entre ces médias. Par exemple, la presse écrite a résisté à l’émergence de la radio, de la télévision et d’internet. Si le format du JT reste fort malgré tout les changements, la concurrence et les révolutions du numérique, c’est notamment grâce à son caractère solennel de “grande messe” du soir.

Le JT reste un événement avec des points d’orgue qui correspondent aux “moments forts” de l’actualité. D’une part les événements chargés en émotions (guerres, attentats), mais également les grands épisodes politiques. Le JT est d’ailleurs une tribune pour les femmes et les hommes politiques pour annoncer, défendre une candidature ou un projet de loi, ou bien pour se défendre soi-même (F. Fillon en 2017). Le JT apparaît en effet l’occasion de s’adresser à “la nation” car le format conserve encore son caractère “traditionnel” hérité de son histoire.

Conclusion

Le journal télévisé est donc un genre tout à fait à part dans le paysage audiovisuel français, mais qui s’est développé en parallèle de celui-ci. Il a suivi les flexions et les inflexions de l’histoire de la télévision française. D’abord laboratoire, il est devenu outil politique contrôlé par l’Etat puis a suivi la lente et progressive libéralisation qui a mené à la privatisation de certaines chaînes et à l’introduction de la publicité. Ces évolutions constantes tant sur les plans techniques que sur le fond et la forme ont forgé un format devenu traditionnel. Le JT constitue de fait le rendez-vous de nombreux Français chaque soir.

Devenu évident, le format actuel du JT comprend cependant de nombreuses contraintes  (images imposées, format court, densité) et l’information présentée souffre alors de plusieurs biais (décontextualisation, choix et hiérarchisation des sujets…). D’ailleurs depuis les années 2000, les grands JT voient leurs audiences baisser et concurrencer. Comme la télévision, le JT est confronté à la révolution du numérique qui offre de nouveaux temps d’écran disponibles, mais bouscule également l’accès à l’information et sa production. Les professionnels mettent donc en avant une modernisation de la forme du JT et un renouvellement des pratiques de présentation. Il faut cependant observer que les JT restent une référence importante grâce à son caractère traditionnel et solennel.

Dans un contexte de défiance vis-à-vis des journalistes, ravivé par les mouvements sociaux de ces derniers mois, le salut du JT passera peut-être également par la reconquête ou du moins le maintien, de la confiance que lui accordent les téléspectateurs.

Luc Barbezat, Simon Corne, Marin Fleury

— Bibliographie —

« À la télévision, des minorités visibles mais pas assez mises en valeur ». Slate.fr,14 janvier 2016.

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Coulomb-Gully, Marlène. Les informations télévisées. Presses universitaires de France, 1995. France 3 en régions Succès d’audience, confiance et plaisir des téléspectateurs. Consulté le 8 octobre 2019.

« Il est 20 heures, le JT se meurt ». Libération.fr, 20 septembre 2015

Lafon, Benoit, et al. « L’information «locale» et «régionale» sur France 3 les réitérations d’un modèle. Analyse de l’enchâssement des territoires par le 19/20 ». Local and regional news on France 3, the reiterations of a model. How territories are embedded by the 19/20, no84‐85, 2011, p. 290.

Lancien, Thierry. Le journal télévisé: construction de l’information et compétences d’interprétation.CRÉDIF, École normale supérieure de Fontenay Didier, 1995.

Le journal télévisé : de l’événement à sa représentation. Presses universitaires de Bordeaux, 2011.

« Le JT ne mourra pas dans un avenir prévisible » ». La Revue des Médias, Consulté le 6 octobre 2019.

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