Élections législatives moldaves : révélatrices d’un choix stratégique à venir

© Vadim Denisov / AFP
© Vadim Denisov / AFP

Le 30 novembre 2014 ont eu lieu les élections législatives en Moldavie. Les résultats de ces élections[1] ont vu arriver en tête le Parti Socialiste d’Igor Dordon (PSRM) avec 20.51% des voix et 25 sièges au parlement ; suivi du Parti Libéral – Démocrate de Vladimir Filat (PLDM) avec 20.16% et 23 sièges; puis arrive le Parti Communiste de Vladimir Voronine (PCRM) avec 17.48% et 21 sièges; suivi du Parti Démocrate de Marian Lupu (PDM) qui a obtenu 15.8% et 19 sièges; et enfin le Parti Libéral de Mihai Gimpu (PL) avec 9.6% et 13 sièges. Certains analystes voient dans ces résultats une « gifle à la diplomatie européenne »[2], du fait des bons résultats des deux partis socialistes et communistes dits anti-européens. Au contraire, d’autres analyses voient une victoire de la diplomatie européenne dans ces élections législatives, en ce sens que, la coalition de la majorité sortante « alliance pour l’intégration européenne » composée des trois partis libéral- démocrate, démocrate, et libéral (PLDM- PDM- et PLM) a été reconduite peu après les élections (le 04/12/2014) et cumule ainsi 55 sièges sur 101 au parlement moldave, soit la majorité au parlement.

Néanmoins, malgré cette majorité au parlement, l’avenir du gouvernement moldave reste incertain. En effet, le système d’élection présidentielle en Moldavie se fait par la voix parlementaire (ce sont les parlementaires qui votent pour élire le président de la république moldave), il faut une majorité de 61 voix pour élire le président. Comme vu précédemment, l’alliance pour l’intégration européenne cumule 55 sièges soit 55 voix au parlement, les 11 voix restantes seront difficiles à obtenir et mèneront certainement à un blocage du processus comme lors des précédentes élections présidentielles moldaves.

Des élections sous surveillance

Les dernières élections législatives ont été surveillées par la mission de l’OSCE (organisation pour la sécurité et la coopération en Europe), par le Conseil de l’Europe, ainsi que par la commission centrale des élections.

La mission de l’OSCE en Moldavie, qui compte parmi ses priorités le contrôle des armes ; les problématiques liées aux droits de l’Homme ; le renforcement de l’État de droit ; soutenir et monitorer les processus électoraux ; et développer un environnement de liberté des médias[3], a publié un rapport de ses premières conclusions suite aux élections législatives de fin novembre sur lequel nous nous sommes basés pour cette analyse. Il en est ressorti que les élections se sont globalement bien déroulées, que les citoyens ont bénéficié d’un choix électoral varié (26 candidats parmi lesquels 21 partis politiques, 1 bloc électoral, et 4 candidats indépendants), et enfin, dans l’ensemble, que les citoyens ont eu accès à l’information concernant chaque parti ou candidat sans restriction.

Quelques défaillances néanmoins[4]

Un premier point d’ombre qui a été mis en avant dans le rapport d’observation de l’OSCE est le manque d’indépendance des médias sur place et notamment des chaînes de télévision. En effet, l’accès à toutes les informations a été rendu possible par la diversité des sources d’informations mises à la disposition des citoyens (TV, radio, internet, réseaux sociaux, journaux papiers). Néanmoins, la télévision reste le moyen d’obtention de l’information numéro 1 en Moldavie, et l’on remarque que seule la chaîne de télévision « Pro TV Chisinau » a fourni une information variée au cours de ces élections, les autres étaient toutes plus ou moins de parti pris. De plus, un des candidats présent sur la liste du parti démocratique moldave, Vladimir Plahotniuc, est notamment connu dans le monde des affaires moldave pour sa forte influence dans la banque (président de « Victoriabank », l’une des banques commerciales les plus prospères de Moldavie jusqu’en 2011), dans le secteur énergétique (PDG de la compagnie pétrolière « Petrom Moldova »), et dans l’audiovisuel (il détient les chaînes de télévision « Prime » et « 2plus »). Se pose ainsi la question du financement des campagnes électorales des différents partis politiques en plus de celle de l’indépendance des médias.

Un autre point négatif de ces élections est le retrait soudain du parti pro russe Patria. En effet, le 26 novembre 2014, la commission centrale des élections a demandé le retrait du parti Patria, affirmant que le dit parti recevrait des financements étrangers. Ces affirmations ont soulevé beaucoup de questionnement au niveau national tant qu’au niveau des observateurs extérieurs.

Un troisième point suspect lors de ces élections demeure dans le manque de transparence au niveau du décompte des voix des électeurs de l’étranger ainsi que sur la localité des bureaux de vote à l’étranger. De ce fait, l’impression dominante à l’issue de ces décomptes était que ce manque de transparence avait pour but de décourager les citoyens moldaves expatriés en Russie de voter.

Enfin, il faut noter que la représentation des minorités lors de ces élections n’était pas flagrante. Certes, des candidats issus de minorités ethniques présentes en Moldavie faisaient partie de listes électorales, mais ces dernières n’avaient que peu de chance d’obtenir un score suffisamment élevé pour obtenir un siège au parlement. De plus, les campagnes électorales (discours, programmes, affichages, …) ont été faits en langue moldave ou en langue russe uniquement.

Des élections qui reflètent l’incertitude du pays face à ses choix géo stratégiques

Située à la frontière de l’Ukraine, la Moldavie reste très préoccupée par les récents évènements qui accablent sa voisine. Les élections ont donc été impactées par le conflit ukrainien qui faisait partie des thèmes abordés par les candidats et les partis en lice. Tout comme l’Ukraine, un des enjeux géo stratégiques évident auquel la Moldavie doit faire face est le choix entre le rapprochement avec l’Union européenne ou bien celui avec la Russie (alliance pour l’intégration européenne ou partis pro russes).

On remarque que la Moldavie s’est engagée auprès des deux unions stratégiques qui l’entourent. En effet, le 27/06/2014, l’Union européenne a signé un accord d’association[5] avec l’Ukraine, la Géorgie, et la Moldavie. La Moldavie a ratifié l’accord d’association en juillet 2014, tout en mentionnant que cet accord ne ferait pas obstacle à la coopération de la Moldavie avec les pays de la communauté des États indépendants (CEI)[6].

Si l’on peut facilement lire un engagement clair vers l’intégration européenne des deux premiers Ukraine et Géorgie :

  • l’Ukraine s’est vue annexer de manière illégale la région autonome de Crimée par la Russie en mars 2014 et est en guerre depuis plus d’un an. Depuis 2014 l’Ukraine ne fait plus partie de la CEI ;
  • la Russie a déclenché en 2008 une attaque militaire contre la Géorgie à la suite d’une provocation de la part de cette dernière, la guerre a duré 5 jours à l’issue desquels les provinces d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie ont été déclarées unilatéralement indépendantes, depuis 2008 la Géorgie ne fait plus partie de la CEI.

Le doute reste complet concernant la Moldavie. Elle fait toujours partie de la CEI (dont elle a ratifié la charte en 1994), elle est membre observateur de la communauté économique eurasiatique ou CEE et de l’organisation du Traité de sécurité collective ou OTSC[7], enfin les électeurs moldaves de Gagouazie[8] se sont prononcés en faveur d’un référendum pour décider ou non de l’intégration de la Moldavie à l’Union douanière eurasiatique[9].

Ainsi, dans le choix qui s’offre à la Moldavie entre le rapprochement avec l’Union européenne ou celui avec la Russie et éventuellement l’Union eurasiatique naissante, le jeu des autorités moldaves reste difficile à lire.

Un début de réponse aux hésitations moldaves : la Transnistrie

La mission de l’OSCE présente à Chisinau a pour objectif prioritaire d’aider à la résolution du conflit en Transnistrie qui oppose le gouvernement central de Chisinau et les autorités de Transnistrie depuis 1992. Mais qu’est-ce que ce conflit ?

Carte
Source : Idé

« État fantôme, la Transnistrie, 4 200 km2 et 500 000 habitants, s’est dotée des attributs d’un État : elle a sa propre monnaie (le rouble de Transnistrie), son hymne, son Soviet suprême, son drapeau avec faucille et marteau. La région est entièrement tournée vers la Russie, dont elle a fait partie pendant deux siècles. Les statues de Lénine et les portraits de Vladimir Poutine font partie du décor. Deux tiers des habitants sont russophones. La moitié d’entre eux se considèrent russe, les autres ukrainiens. Le troisième tiers sont des Moldaves, qui se sont retrouvés discriminés dans leur propre pays. »[10]

On peut donc comprendre les raisons qui incitent les autorités moldaves à hésiter dans leur choix géo stratégique. De plus, la Russie étant connue pour « réchauffer les conflits existants » dans son étranger proche afin de garder une influence sur ses voisins, la Moldavie ne peut imaginer son futur sans une forte implication de la Russie. Les prochains défis de la majorité parlementaire moldave (l’alliance pour l’intégration européenne) seront donc multiples (mise en place de réformes socio- économiques, lutte renforcée contre la corruption encore trop présente, mise en place de lois sur la transparence des financements des campagnes électorales, …) et au nombre desquels se trouvera la question du choix stratégique entre l’Union européenne et la Russie.

Anne-Sophie Faure

—— Notes de bas de pages ——

[1] Résultat définitif provisoire des élections législatives du 30 novembre 2014, Moldavie.fr, 30 novembre 2014

[2] Législatives en Moldavie: une gifle à la diplomatie européenne (expert), Ria.ru, 1er décembre 2014

[3] OSCE Mission to Moldova

[4] « Statement of preliminary findings and conclusions », document consultable sur OSCE Mission to Moldova

[5] L’accord d’association avec l’Union européenne comporte deux volets, le premier est d’ordre commercial et le second d’ordre politique. L’Ukraine a signé les deux volets du dit accord, notamment du fait de l’urgence dans laquelle se trouve le pays, en guerre depuis plus d’un an et faisant face à des forces armées pro russes qui bénéficient du soutien militaire et financier de la Russie dans les régions de l’est (Donetsk, Lougansk) et en Crimée, dont l’annexion illégale n’est pas reconnue par l’Ukraine ou par l’Union européenne.

[6] La CEI est la première structure d’intégration post soviétique construite autour de la Russie et qui perdure encore de nos jours.

[7] La CEE et l’OTSC sont deux autres mécanismes d’intégration post soviétiques, la CEE est une coopération économique, commerciale, douanière, technologique, monétaire, industrielle, financière, humanitaire, scientifique, agricole, et énergétique créée en 2000 et voulant s’inspirer du modèle européen ; l’OTSC est une organisation politico-militaire très active en Asie centrale effective depuis 2003.

[8] La Gagouazie est un district autonome du sud de la Moldavie majoritairement pro russe.

[9] L’Union douanière eurasiatique est la dernière-née des mécanismes d’intégration post soviétiques, elle tourne autour de la Russie qui est en position de force par rapport aux autres membres, crée en 2010 et regroupant la Russie- le Kazakhstan et la Biélorussie, elle a été une base pour créer la toute jeune Union eurasiatique qui existe depuis le 1 janvier 2015.

[10] Cordonia Bénal, Après la Crimée, la Transnistrie ?, Libération.fr, 24 mars 2014

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