Iran : Pourquoi les perses ont-il besoin de négocier avec les autorités internationales pour soulager leur économie ?

Tunnel de Tehran
Tohid Tunnel, Teheran – Source : Cristimoise.net

S’il peut paraître parfois compliqué de s’y retrouver dans les dépenses publiques d’un pays démocratique, qu’en est-il vraiment d’un pays au banc des frontières occidentales, qui, longtemps diabolisé, cherche aujourd’hui à s’ouvrir à un marché économique international en pleine reprise. Frappé par la crise financière de 2007, à l’orée des sanctions internationales, guidé par des idéaux religieux et dirigé par des hommes politiques peu scrupuleux, telle est la réalité de l’Iran des années 2010. Économie rentière vivant sur les vestiges d’un passé glorieux, la Perse est aussi mal comprise que victime de son propre jeu. Défiance nationale, méfiance internationale, l’Iran a trop souvent prétendu pouvoir rivaliser avec les grandes puissances de ce monde. À tord ? Rien n’est moins sûr. Pays culturellement riche au peuple extrêmement fier et déterminé, l’Iran est l’acteur régional qui, à moyen terme, ambitionne de s’imposer comme la puissance économique d’Orient.

Le changement : les élections présidentielles de 2013

En 2013, Mahmoud Ahmadinejad quitte le pouvoir en laissant une économie sinistrée. Perte du contrôle du rial (devise iranienne), inflation grandissante, hausse du chômage historique (estimé à 12%), détérioration des conditions de vie et dépendance accrue aux les revenus du pétrole. Voici ce à quoi sera confronté le futur président de la République islamique d’Iran.

De cette situation en résulte une campagne présidentielle portée sur le thème de « la résistance de l’économie ». Au centre des préoccupations trois axes d’améliorations nécessaires pour le pays :

  • dossier du nucléaire ;
  • sanctions internationales ;
  • détentes avec les Occidentaux.

De vifs débats télévisés sont retransmis. Avec pour obligation de redresser le pays, les candidats annoncent des mesures allant dans le même sens :

  • s’attaquer à l’inflation ;
  • s’attaquer au chômage ;
  • améliorer les conditions de vie des iraniens ;
  • réduire l’impact des sanctions internationales ;
  • résoudre le dossier du nucléaire.

Leurs promesses sont toutes les mêmes, mais les moyens avancés divergent. Comme dans toutes rivalités politiques, le camp des conservateurs et des réformistes s’affrontent. Rafsandjani, ancien président (de 1989 à 1997) voit sa candidature rejetée par le Conseil des Gardiens. Dès lors, tout comme Mohammad Khatami (président de 1997 à 2005), il apporte son soutien à Hassan Rohani, le modéré de ces élections.

À la « surprise générale », c’est Hassan Rohani qui remporte l’élection le 14 juin 2013, avec 50,71% des suffrages, et prend ses fonctions le 4 août 2013.

Si le président nouvellement élu déclare découvrir une situation économique catastrophique suite aux deux mandats de son prédécesseur, qu’en est-il réellement de l’héritage de la présidence Ahmadinejad ?

Gestion catastrophique de la bureaucratie Ahmadinejad : « Le piège du tout pétrole »

Il serait totalement injuste de dire que Mahmoud Ahmadinejad a organisé à lui seul le repli de son pays sur la scène internationale. Il s’agit en réalité d’un système, d’une bureaucratie et d’un ensemble de décisions qui eut des effets négatifs sur le pays entier.

« Dépenses inconsidérées, distributions abusives, clientélisme et retraits irréguliers de fonds publics pour combler les dépenses de fonctionnement non approuvées »[1] nous apprend Michel Makinsky. La mauvaise gestion du système Ahmadinejad est pointée du doigt par ses paires d’autant plus que, dans le même temps, le régime a vu s’accroître les revenus de l’industrie pétrolière.

Il suffit de comparer les chiffres publiés le 9 septembre 2013 par le Majlis Research Center[2] pour s’apercevoir qu’entre la présidence de Khatami et celle d’Ahmadinejad, la part des revenus du pétrole à plus que doubler (de $206 à $578 milliards) et que dans le même temps, la croissance a, elle, baissé de plus de 2% (passant de 5,73 à 3,52%).

Les dépenses du gouvernement ont été multipliées par 5 ($4,5 à $22,8 milliards pour 1% de croissances par/an), mais c’est surtout le chiffre donné pour la création d’emploi qui interpelle. Alors que sous la présidence de M. Khatami, le marché du travail s’était gonflé de 700.000 emplois, celle de M. Ahmadinejad en aurait créé seulement 14.000.

À l’étude, on comprend que le service public a été dopé par la redistribution des devises tirées du pétrole. La part des entreprises publiques n’a jamais été aussi importante. Elles produisent 30% de la valeur ajoutée de l’industrie du pays contre 8 % pour les entreprises privées qui représentent elles 70% du tissu économique iranien, mais n’emploient pas plus de 50 salariés. Surtout, les coûts exorbitants de gestion bureaucratique ont plombé directement l’économie.

Cette richesse qui aurait du être réinvestie pour redynamiser un pays en pleine dérive et ainsi, développer sa croissance, a en réalité était un vecteur majeur de l’inflation qui a parcouru l’Iran.

Au lieu de favoriser les filières industrielles et agricoles, la mauvaise utilisation de cette manne financière a été mise au service de la récession du pays en ayant pour conséquence une augmentation des coûts de production, ce qui a logiquement conduit à une répercussion sur le prix des denrées et les salaires des employés. Alors oui, les hommes politiques ont bien consenti à des efforts envers les PME iraniennes, mais la redistribution voulue par le gouvernement vers les petits entrepreneurs est jugée trop peu intéressante et parfois inexistante. Lorsqu’ils viennent à toucher des aides de l’État, les iraniens sont souvent tentés d’épargner plutôt que de réinjecter cet argent.

Certes du temps de la présidence Ahmadinejad, de nombreuses voix se sont élevées (en Iran et à l’étranger) pour alarmer les autorités de l’impasse dans laquelle le pays s’engouffrait, appelant l’État à encourager la création d’emploi, à cibler les dépenses publiques et surtout à apporter un soutien à la création d’entreprises locales pour favoriser l’essor des territoires. Reconnaissant des complexités d’ordre conjoncturelles, la bureaucratie Ahmadinejad n’aura de cesse d’attribuer ces difficultés économiques aux seules sanctions internationales.

Résultats des sanctions internationales : tous les maux de la Perse ?

Depuis 2002 et la découverte de l’existence d’un programme nucléaire iranien, un bon nombre de sanctions ont été prise contre l’Iran (US Executive Order 13382, Résolutions 1737, 1747, 1929 de l’ONU, EU No 423/2007 etc…)[3].

Chacune de ces politiques coercitives ont amené la société iranienne à s’adapter, se moduler et muer pour pouvoir résister aux effets pervers qui eurent pour but d’asphyxier son économie. Mais il faut aussi convenir que leurs résultantes ont engendré d’autres effets sur l’économie internationale.

Lorsque les pays occidentaux se mettent d’accord pour imposer des mesures d’embargo et de ce fait, interrompre la circulation des recettes financières tirées en grande majorité du pétrole (hydrocarbures et produits de l’industrie pétrochimique), ils donnent ainsi une chance aux États dépendant des exportations de l’Iran, d’être en position de force dans leurs échanges. Ainsi, la Chine paye ses importations de pétrole en Yuans, l’Inde en Roupies. En résulte une perte du contrôle de l’échange du Rial par les autorités, une inflation des prix et surtout une répercussion sur les conditions de vie des iraniens.

Les-exportation-de-pétrole-de-lIran

Conséquence, au dernier trimestre 2012, le rial s’infléchit de 50% de sa valeur. Comme le souligne Patrick Clawson l’économie étant « gravement infectée par les sanctions »[4], il faut réformer le système en profondeur en se démarquant de la position adoptée durant les vingt dernières années, à savoir, une économie vivant sur les recettes du pétrole.

Mais c’est surtout une désindustrialisation massive de la société iranienne qui devient visible, lorsque, les banques nationales voient leurs avoirs gelés par les autorités internationales et, sous l’impulsion des États-Unis, sont frappées d’une interdiction internationale de transactions en dollar[5].

L’administration Ahmadinejad a cherché à cacher ces déboires financiers en manipulant les chiffres de l’inflation, les recettes du pétrole, les chiffres du chômage etc… Cependant ce n’est pas le seul impact à constater. Si ces recettes ne rentrent plus dans l’économie du pays, l’Iran doit trouver un moyen de combler ses déficits, d’autant plus qu’elle perd toute crédibilité aux yeux des investisseurs étrangers.

Il n’est pas faux de dire que les sanctions ont aggravé la situation de l’Iran d’Ahmadinejad, puisque qu’elles ont eut pour unique résultante d’asphyxier une économie en berne et un marché en net recul. Mais dire qu’elles sont seules responsables de la situation de l’Iran serait moquer la réalité qui pèse aujourd’hui sur la population iranienne. Si l’impact des sanctions économiques est bien réel, la bureaucratie Ahmadinejad a ouvert la brèche dans laquelle se sont engouffrés « tous les maux de la Perse » jusqu’à son implosion. À prétendre pouvoir résister, cacher la vérité sur son économie, et continuer dans la défiance des pays occidentaux (notamment en développant, ou prétendant développer une arme nucléaire), le président Ahmadinejad a attiré les foudres de ses voisins occidentaux. Avait-il raison ? Cela n’est pas ici le sujet de nos propos, néanmoins, il est notable de voir que les dirigeants politiques candidats à sa succession ont tous cherché à s’emparer du sujet durant la compagne présidentielle.

Mettre fin à une économie dépendante

Si le thème de « la résistance de l’économie »  avait été repris par l’ensemble des dirigeants politiques pour contourner les sanctions internationales, l’opération est plus compliquée qu’elle n’y paraît.
Pour l’Iran, la contrainte majeure à surmonter est celle de se passer des investissements étrangers pour donner une nouvelle impulsion à son économie. Elle doit donc s’appuyer sur ses ressources nationales. Annoncée en grande pompe par le Guide Suprême, cette politique de résistance ne peut réellement se solder par un échec, quitte à faire l’objet d’une nouvelle manipulation de données.

Depuis juin 2014, la situation a même empiré. En cause, la chute des prix du baril de pétrole ($75,91 au 15 novembre 2014). Déjà touché par l’embargo précédemment cité qui, dès 2011, avait engendré une baisse manifeste des exportations de barils/ jour (de 2,2 millions à environ 1,3 million de barils), l’Iran doit maintenant faire face à cet imprévu et trouver comment se débarrasser de sa dépendance aux mannes pétrolières.

L’Iran doit s’appuyer sur sa capacité à s’autogérer et à s’adapter aux situations les plus extrêmes (interdiction d’assurances des compagnies maritimes, interdiction d’importation de pièces détachées pour les secteurs automobiles ou aéronautiques) tout en tendant la main aux opportunités internationales (négociations autour du nucléaire civil), augmenter l’impôt sur le revenus et obliger la population à le payer, enfin, pratiquer une politique monétaire d’austérité pour réussir à s’en sortir.

Un travail de grande ampleur doit aussi être effectué pour sortir de ce « tout pétrole ». Mais le chemin est encore long comme le souligne Michel Makinsky qui lui-même reprend l’étude de P. Clawson, « en 2012 (…), le pays a exporté $34 milliards de produits non pétroliers, couvrant ainsi 60% de la facture des importations qui s’étaient élevées à $57 milliards. Mais une particularité vient corriger ce tableau flatteur (…) dans ces exportations non-pétrolières sont comptabilisées $9 milliards de profits chimiques (dont on sait que l’origine est largement liées aux hydrocarbures), la plupart pétrochimiques, $3,2 milliards de matières plastiques tirées du pétrole »[6].

Aussi, si l’on constate que la part des exportations de pétrole à baisser dans la balance économique nationale, Patrick Clawson nous explique qu’il s’agit essentiellement de produits tirés de l’industrie pétrochimique (et non comptabilisés dans les revenus générés par le pétrole) qui servent à embellir les chiffres de l’exportation de produits non-pétroliers aux côtés des exportations agricoles, de minerais, et produits manufacturés.

Après une année de présidence Rohani, la méfiance continue à s’imposer parmi les investisseurs étrangers, mais de nombreux points d’amélioration sont à souligner. On a ainsi vu des délégations entières s’établir à Téhéran pour rencontrer leurs homologues iraniens. États-Unis, France, Suisse, Royaume-Uni entre autres ont participé à l’ouverture des échanges économiques avec l’Iran.

Si l’Iran a su résister à autant de mesures coercitives c’est bien que le pays constitue un des principaux acteurs/ leader de la Région.

Si l’ouverture est envisagée, son étude est encore trop peu réalisée et en ce sens l’Iran continuera à être un pays méconnu, diabolisé et moqué.

Il suffit de constater les avancées en matière diplomatique effectuées depuis 2013 pour constater que l’Iran peut consentir à un certain nombre d’efforts allant dans le sens de réconciliation (multiples propositions d’aide pour frapper l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL)[7])

Certes, les iraniens défendront toujours leurs avantages, comme chacun des pays occidentaux peut le faire, mais c’est aussi une façon, pour eux, de s’inscrire dans l’Histoire des Relations internationales.

L’Iran, dont l’économie reste en transition, a t-elle la capacité politique nécessaire pour influencer les décideurs régionaux et internationaux à investir et redévelopper son économie nationale dans le but d’asseoir sa dominance régionale ? Réussira t-elle à peser dans la balance internationale en substituant ses désirs nucléaires à une économie pacifiée ouverte au commerce et aux échanges économiques extérieurs ?

Source : Joe Klamar - AFP
Source : Joe Klamar – AFP

Après sept jours de négociation sur le programme nucléaire iranien à Vienne, en Autriche, les discussions ont de nouveau étaient repoussées à l’été 2015. Bien qu’allégés depuis plusieurs mois des nombreux effets négatifs dus à l’embargo et aux sanctions internationales imposées par l’Occident, l’Iran se retrouve toutefois contraint d’accepter de négocier pour assurer sa propre survie.

Alors que doit-on en déduire sur l’Iran d’aujourd’hui ?

Thomas Alves-Chaintreau

——- Notes de bas de pages -——

[1] Michel Makinsky (dir.), L’économie réelle de l’Iran – Au-delà des chiffres, ed. L’Harmattan, collection Iran en transition, 2014, p. 22

[2] Ibid., p. 23

[3] Plus de trente ans de sanctions contre l’Iran, LeMonde.fr, 21 novembre 2013

[4] Patrick Clawson, Iran Beyond Oil?, The Washingtonn Institute for Near East Policy, Policy Watch n°2062, 3 avril 2013

[5] Thomas Alves-Chaintreau, Comprendre l’amende infligée à la BNP Paribas, LaNouvelleChronique.com, 2 juin 2014

[6] Patrick Clawson, op.cit., 3 avril 2013 cité dans Michel Makinsky (dir.), L’économie réelle de l’Iran – Au-delà des chiffres, ed. L’Harmattan, collection Iran en transition, 2014, p. 21

[7] Thomas Alves-Chaintreau, Y aura t-il une alliance Iran / Etats-Unis contre l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) ? , LaNouvelleChronique.com, 20 juin 2014

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