Crise Ukrainienne : La diplomatie de l’isolement suffit-elle à mettre un terme au conflit ukrainien ?

Source : Kevin Lamarque, AFP
Source : Kevin Lamarque, AFP

Le 16 septembre dernier lors de la tenue du G20 en Australie, le président Vladimir Poutine a quitté Brisbane avant la fin officielle du sommet. Exposé à de virulentes critiques au sujet de la crise ukrainienne, le chef du Kremlin a prétexté que sa fatigue et la durée du voyage justifiaient son départ anticipé. Cette attitude spectaculaire – qui va à l’encontre du protocole en vigueur – illustre à quel point la Russie connaît un isolement croissant sur la scène internationale depuis l’annexion de la Crimée en mars dernier. À titre indicatif, rappelons qu’il y a plus d’un an la ville de Saint Petersbourg accueillait ce même sommet tandis que Moscou employait toute son énergie à organiser les Jeux Olympiques d’hiver à Sotchi.

Retour sur les événements

En septembre dernier, malgré la conclusion d’un accord de cessez-le-feu à Minsk, les pays occidentaux – l’Union européenne et les États-Unis en tête – ont décidé d’engager de nouvelles sanctions à l’encontre de la Russie. En pleines négociations sur le traité de libre-échange entre l’UE et l’Ukraine, le président Porochenko s’est alors réjoui de ce que ces mesures formaient un signe supplémentaire du rapprochement entre son pays et l’ensemble communautaire. Loin d’apaiser les tensions avec le Kremlin, cette déclaration a provoqué l’ire de Vladimir Poutine lequel, en déplacement au Tadjikistan, a aussitôt affirmé que son gouvernement réfléchissait à des repré­sailles[1].

Sources : James Hill for The New York Times
Sources : James Hill for The New York Times

Depuis le début de ce conflit, le gaz constitue en effet le levier stratégique dont dispose la Russie pour exercer des pressions sur Kiev et l’Europe dont elle demeure le principal fournisseur. Au moment de la fuite du président Ianoukovitch, la compagnie Gazprom avait ainsi brusquement augmenté ses prix avant d’annoncer l’interruption de ses livraisons en cas de non règlement des impayés ukrainiens[2]. Mise à exécution le 16 juin dernier, cette mesure de rétorsion a constitué une grave menace pour la sécurité énergétique du continent. À l’approche de l’hiver, la nécessité de trouver un compromis a toutefois conduit à la conclusion d’un accord le 30 octobre. Présenté par Moscou comme une généreuse concession, celui-ci fixe le tarif à 385 dollars pour 1000 mètres cubes – soit 100 dollars de moins qu’en début d’année – et prévoit un échelonnement des paiements. Pour honorer sa dette estimée à 5,3 milliards de dollars par Moscou, l’Ukraine devrait toutefois bénéficier du renfort financier du FMI et de l’UE[3].

Simultanément, se sont tenues le 26 octobre les élections législatives qui ont porté à une large majorité le camp pro-occidental à la Rada[4] et de facto renforcé la légitimité du président Porochenko. En réaction, les groupes séparatistes ont annoncé la tenue d’un vote dans les différentes localités de la région du Donbass à l’issue duquel les rebelles pro-russes ont été déclarés vainqueurs. Invalidées par les Nations Unies, ces élections ont marqué une nouvelle étape dans l’escalade de violence qui sévit depuis plusieurs mois. Moins d’une semaine après le scrutin, le gouvernement de Kiev et des observateurs de l’OSCE ont ainsi dénoncé l’arrivée sur le territoire de « renforts militaires massifs »[5].

Les effets de la diplomatie de l’isolement

Le choix de Vladimir Poutine de quitter le sommet du G20 avant même la tenue du dernier déjeuner officiel témoigne d’un isolement croissant de la Russie sur la scène internationale. Exposé de toutes parts aux critiques des pays occidentaux, le chef du Kremlin n’a pas davantage bénéficié du soutien du président chinois Xi Jinping auprès duquel il souhaite pourtant établir un partenariat stratégique[6]. Dans le but de contrecarrer les effets des sanctions internationales, les deux pays ont effectivement multiplié les accords économiques au cours des derniers mois. Outre le domaine énergétique – avec la signature d’un important contrat gazier en septembre dernier -, la Chine et la Russie ont également annoncé la conclusion d’un protocole d’accord sur un projet de train à grande vitesse devant relier Moscou à Pékin[7]. Trait d’union entre les deux capitales, ce projet pharaonique peut être interprété comme le symbole d’une réconciliation entre les « deux anciens frères ennemis » qui partagent désormais de nombreux intérêts communs. Cependant, si ce rapprochement s’inscrit pleinement dans la logique chinoise de diversification des partenaires économiques, il n’en va guère de même pour la Russie qui voit au contraire le nombre de ses alliés se réduire. Face à l’étau des sanctions occidentales, Moscou tente en effet d’orientaliser sa politique étrangère en renforçant ses liens avec les puissances asiatiques. Aussi, ce partenariat repose t-il jusqu’à présent sur une profonde asymétrie entre les deux protagonistes dont la réserve du président Xi Jinping sur la question ukrainienne demeure le signe le plus notoire.

Outre la différence substantielle dans les logiques à l’oeuvre dans ce rapprochement, il faut également souligner qu’une telle réorientation des relations sino-russes ne peut suivre la même temporalité que celle de la crise ukrainienne. Or la rapidité avec laquelle les sanctions occidentales vont vraisemblablement peser sur l’économie russe ne peut a priori être compensée par des contrats qui portent sur des secteurs dont la rentabilité n’interviendra que dans plusieurs années. Dans un contexte de chute des cours pétroliers – délibérément voulue par les pays de l’OPEP afin d’affecter la production américaine de gaz de schiste – et d’effondrement du rouble depuis un an, la Russie semble donc bien mal armée pour faire face à la diplomatie de l’isolement dont elle fait l’objet[8]. Cela va sans compter que cette dernière doit également jouer son rôle sur le théâtre moyen-oriental aux prises avec l’EIL.

Valérie Le Brenne

——- Notes de bas de pages -——

[1]   Le Monde.fr, « Ukraine: l’entrée en vigueur de l’accord de libre échange avec l’UE repoussée », 12 sept.2014.

[2]   Albertini Dominique, « Coupure du gaz russe: l’Europe est-elle menacée? », Libération, 16.06.2014.

[3]   Ducourtieux Cécile, « L’Ukraine et la Russie trouvent un accord sur le gaz », Le Monde, 31.10.2014.

[4]   « Rada » est le nom donné au Parlement ukrainien.

[5]   Le Monde.fr, « L’UE « très inquiète » par l’arrivée de renforts massifs dans l’Est séparatiste de l’Ukraine », 09.11.2014.

[6]   Pedroletti Brice, « Un partenariat de circonstance émerge entre la Russie et la Chine », Le Monde, 16 oct.2014.

[7]   Site de RFI, « Chine-Russie: un projet de transsibérien pour relier Moscou à Pékin », 7 nov. 2014.

[8]   Le Monde.fr, « Après la décision de l’OPEP, les gagnants et les perdants », 28.11.2014.

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