Vol MH-17 : Quelles conséquences diplomatiques en pleine crise ukrainienne ?

Photo : Dmitry Lovetsky – AP/SIPA

Le 16 juillet 2014, un avion de ligne de la compagnie Malaysia Airlines, faisant la liaison entre Amsterdam et Kuala Lumpur, est abattu dans l’espace aérien ukrainien. À son bord, 283 passagers, 15 membres de l’équipage, aucun ne survivra.

Dans les premières minutes suivant cet accident, les États-Unis affirmeront avoir suivi la trajectoire d’un missile sans pouvoir déterminer d’où provenait le tir. Bastions séparatistes pro-russes ? Ukraine ? Le Kremlin accuse les Ukrainiens de malveillance, quand eux dénoncent une bévue des opposants pro-russes.

Parmi les nombreuses victimes, 193 étaient de nationalité néerlandaise. Les Pays-Bas endeuillés, demandent à Alexandre Borodai, premier ministre autoproclamé de la République de Donetsk et Petro Porochenko, président ukrainien, de coopérer avec la communauté internationale afin de faire toute la lumière sur ces évènements tragiques.

10 jours après le crash de l’avion malaisien, en plein conflit ukrainien et après l’annexion en mars dernier de la Crimée par le régime russe, les inquiétudes demeurent quant aux répercussions diplomatiques qu’un tel évènement pourra avoir sur la communauté internationale.

Une enquête mal-engagée

Une enquête a été ouverte lundi 21 juillet par la justice néerlandaise pour meurtre et crime de guerre. Un comité d’experts comprenant des membres du FBI et d’Interpol, des unités spécialisées britanniques et allemandes, des officiels malaisiens et australiens, ainsi que des experts médico-légaux néerlandais, devaient se rendre en début de semaine sur les lieux de l’accident, mais l’accès à la zone sinistrée était rendue compliqué par les séparatistes pro-russes ayant cloisonnés le périmètre.

Photo : Maxim Zmeyev - Reuters
Photo : Maxim Zmeyev – Reuters

Pressé par l’ONU demandant à « toutes les parties à fournir aux enquêteurs un accès immédiat au site de l’accident pour qu’ils puissent en déterminer les causes », Vladimir Poutine exhorte les opposants pro-russes à ouvrir un corridor sécurisé afin de laisser entrer les experts mandatés sur le lieu accidenté.

Cet engagement aura permis aux experts de réaliser quelques tests sur les corps des victimes à bords des trains qui les emmenaient vers Kharkiv avant qu’ils ne soient rapatriaient aux Pays-Bas pour des funérailles nationales, et de récupérer les boîtes noires qui pourront permettre d’accéder aux dernières conversations de l’équipage.

Aux vues de la configuration de débris et des analyses faites sur le site, les enquêteurs se rendront pratiquement certains d’une chose, le Boeing 777 malaisien a bien été heurté par un missile sol/air.

Il s’agirait d’un missile Buk, armement hérité de la Guerre froide, qui a pour particularité de pourvoir détruire tout véhicule aérien à moins de 25.000 mètres de portée. Pour comparaison, lorsqu’un avion vol à son rythme dit « de croisière », celui-ci vole à 10.000 mètres d’altitude, une frappe d’un missile de longue portée comme le Bulk, est alors inévitable.

Alors cette frappe était-elle involontaire ?

Techniquement, il est impossible, pour une batterie militaire, de confondre un avion civil et un avion de chasse. Les raisons sont simples. Chaque avion émet un signal qui contient son identité, sa destination et sa situation de vol. Il est même possible de déterminer pour quelle compagnie aérienne le trajet est en train d’être effectué. Ces émetteurs sont détectés par les tours de contrôleurs aériens qui gardent un contact fréquent avec les objets volants, s’assurant ainsi du bon trafic de cet espace aérien.

Ces explications accréditent la thèse d’un missile lancé par un groupe militaire entraîné et ayant accès à des ressources militaires très importantes. C’est une des raisons pour lesquelles la communauté internationale penche vers l’implication des séparatistes pro-russes.

En effet, le 29 juin dernier, les opposants au régime de Kiev dévoilaient sur les réseaux sociaux avoir pris possession dans la région de Donesk, de l’unité de défense antiaérienne A1402, qui, on le sait, dispose de véhicules porteurs de missiles Buk. Si les premières déclarations de responsables pro-russes viendront contredire cette annonce, Alexandre Khodakovski, chef séparatiste commandant du bataillon Vostok, confirmera la présence de matériels militaires de ce type mis à disposition de ses troupes. Il ajoutera qu’afin de dissimuler les preuves, les véhicules seraient déjà repartis en Russie.

Cette annonce plus que troublante sera démentie par Alexandre Borodai. Depuis, deux avions de chasse de l’armée ukrainienne ont été abattus dans les mêmes conditions que le Boeing 777. Borodai juge responsable l’Ukraine d’avoir attisé ses tirs de missile par leur passage incessant au-dessus de la région de Donetsk.

Qu’en dit Vladimir Poutine ?

Piégé par ses contradictions, accusant tout d’abords un avion de chasse de l’armée ukrainienne d’avoir tiré sur l’avion malaisien, puis ensuite laissant entendre qu’un missile Buk a bien été tiré, Vladimir Poutine se retrouve dans une position délicate et est contraint de rendre des comptes à la communauté internationale.

Ce sont ses ministres qui s’adonnent à une joute verbale avec les États-Unis. Répondant à John Kerry, qui, le premier, avait dégainé sur la chaîne CNN : « Il est assez clair qu’il s’est agi d’un système qui a été transféré de Russie et remis aux mains des séparatistes » avant d’ajouter « nous savons avec assurance que les Ukrainiens ne disposaient pas d’un tel système dans les environs à ce moment-là. Donc cela pointe clairement le doigt vers les séparatistes ».

« Où sont ces preuves ? » réclament Anatoli Antonov, vice-ministre de la défense russe. Cette posture défensive est parfaitement compréhensible. C’est encore Pascal Boniface qui nous renseigne le mieux sur ce point (1). En effet, là où les pro-russes apparaissent comme uniques responsables de la tragédie de l’avion Mh-17, ayant « montré leur irresponsabilité et leur dangerosité. Un tel crime (même s’il s’agit d’une erreur de cible) ne peut rester impuni. Poutine doit donc prendre réellement ses distances avec les indépendantistes pro-russes » et pour cela, il doit commencer par « cesser de les aider militairement ».

Quelles sanctions la Russie encourt-elle ?

C’est l’Europe tout entière qui doit régir fortement face à cette crise. « Les Européens ont un rôle important à jouer pour la réunification ukrainienne » nous dit Pascal Boniface, qu’il s’agisse de rassembler l’Ukraine de Kiev et la République autoproclamée de Donetsk ou qu’ils s’agissent de prendre des sanctions coercitives contre la Russie, l’Union Européenne doit faire jouer son atout diplomatique dans les plus hautes institutions internationales.

« Il est temps de commencer à entrer dans la phase 3 des sanctions » disait David Cameron devant la Chambre des Communes dimanche dernier.

Depuis l’annexion de la Crimée, l’Union européenne avait édicté 3 étapes de sanctions contre la Russie.
Le premier temps consistait en l’exclusion du G8 de la Russie. Elle voyait de ce fait ses échanges diplomatiques bilatéraux avec l’Europe réduite et sa coopération militaire avec les États-Unis stoppée. Son rapprochement avec l’OSDE était reporté, en découlait une chute des profits boursiers, une crainte des investisseurs et un affaiblissement du rouble, monnaie russe.

La seconde étape fut d’ordre symbolique visant à faire pression sur le Kremlin. Ainsi, est établi une liste de persona non grata proche de Vladimir Poutine, interdit de transit international et dont les avoirs seront gelés.

La troisième et dernière étape mettra en place des sanctions purement financières visant a déstabiliser les liens économiques de la Russie avec la communauté internationale, affaiblir le pouvoir en place et l’obliger à céder aux pressions externes.

Néanmoins, si l’Europe a un rôle à jouer et doit encore une fois asseoir sa diplomatie d’influence, pourra-t-elle résister aux engagements contractuels déjà pris avec la Russie en exécutant la phase 3 de ses sanctions ? On imagine mal l’Allemagne se priver du gaz russe, et la France ralentir plus encore la livraison de ses deux navires de guerre à la Russie et nuit à l’activité de ses 1200 entreprises en place en Russie (2).

Thomas Alves-Chaintreau

(1) Crash du vol MH17 : derrière le drame, comment Poutine peut clore la crise en Ukraine, Pascal Boniface, Le Plus – Le Nouvel Observateur, 22 juillet 2014

(2) Crash du MH17 : vers de nouvelles sanctions européennes contre la Russie ?, Donald Hebert, Le Nouvel Observateur, 22 juillet 2014

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