Alstom – General Electric : Un mariage nommé Success

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Le 20 juin 2014, le gouvernement français, par la voix d’Arnaud Montebourg, a officialisé le rachat de la société Alstom par le groupe américain General Electric. Cette acquisition du champion industriel par le groupe américano-canadien aura été préférée aux offres conjointes du duo Mitsubishi Heavy Industries – Siemens.

Après des années de difficultés pour l’entreprise française de transport, peut-on vraiment être surpris de ce choix lorsque l’on connaît le passé étroitement lié d’Alstom et de General Electric?

Retour sur l’histoire de ce mariage.

La naissance d’un champion français

Née en 1928 de la fusion de la Société alsacienne de constructions mécaniques (SACM), atelier de construction de locomotives, et de la Compagnie française pour l’exploitation des procédés Thomson-Houston (CFTH), association d’une entreprise spécialisée dans la production de machines magnéto-électriques et du groupe General Electric, la société Alsace-Thomson (ou Als-tom) marque le premier temps de collaboration entre les deux futurs géants de l’industrie ferroviaire et devient, dans le même temps, un acteur majeur sur le marché industriel des transports grâce, notamment, à ses brevets de tractation ferroviaire par propulsion électrique.

Après avoir diversifié ses procédés de fabrication en créant des succursales indépendantes et s’être successivement nommée Alsthom, Alsthom Atlantique, puis GEC-Alsthom en fusionnant avec le groupe britannique General Electric Company (GEC), société anglaise spécialisée dans l’électronique et les moyens de conduction de réseaux de communication (1), l’entreprise alsacienne prend définitivement le nom d’Alstom en 1998 et introduit cette composante GEC en bourse à hauteur de 52 % de son capital tout en gardant 24 % des parts de sa filiale.

Erreurs stratégiques et début des problèmes financiers

Ces années 1990 marquent la fin d’un cycle prospère pour le groupe. Avec son introduction en bourse, Alstom va rapidement être confrontée à des contraintes financières dues, en partie, à deux choix stratégiques et industriels douteux.

Dans un premier temps, Alstom oriente son activité vers le secteur énergétique en s’associant avec le groupe helvético-suédois ABB. Elles fusionnent ainsi leurs activités de turbines dans les centrales électriques.

C’est ensuite à General Electric qu’elle revend le parc de turbines à gaz de son site historique de Belfort, berceau de la SACM. Par cette acquisition, la société américaine récupère la totalité du site alsacien et en profite pour développer son activité en Europe et permet à Belfort de devenir sa plus grosse implantation européenne.

Quelles en sont les conséquences ?

L’association avec la société ABB est un désastre. Voulue comme le renouveau du groupe français, elle s’avère être un gouffre financier. Parc défectueux, matériaux usagés, la situation livrée par ABB était un artifice.

Avec la vente du site de Belfort, Alstom est incapable de livrer les produits à temps et perd de nombreux contrats. Soucieux de ne pas aggraver la situation du groupe, Pierre Bilger, président du groupe jusqu’en 2003, prend sa retraite et refuse son indemnité de départ de 4,1 millions d’euros.

Dans l’impossibilité d’indemniser ses clients, obligés de passer par des banques de créances et contraintes aux provisions afin de rembourser les sommes exorbitantes dues à ses actionnaires, l’État intervient en 2004 pour sauver la société fleuron de l’industrie française.

Le premier plan de sauvetage de l’État français

C’est le Ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, Francis Mer, qui est en charge du dossier Alstom. L’objectif est de sauver les 100.000 emplois du groupe, dont 25.000 en France. Pour cela, une aide de 2,8 milliards d’euros va être apportée. L’État français prendra à sa charge 720 millions d’euros en acquérant 21,36 % du capital de la société.

En 2004, Nicolas Sarkozy, successeur de Francis Mer à Bercy, mènera le dossier devant la Commission européenne. En l’état, si toutes les conditions sont réunies pour le sauvetage du groupe Alstom, la haute instance exécutive de l’Union européenne apportera ses réserves sous forme de dispositions particulières.

L’État français s’engage à revendre, dans les quatre années suivant son rachat, la totalité de ses actifs dans la société Alstom. Dans le même temps, le groupe sera contraint à une réorganisation industrielle afin de recentrer son activité sur ce qui avait par le passé fait sa réussite et devra céder 10 % de son chiffre d’affaires (soit 20 milliards d’euros).

Pour cela, le dossier prévoit le rachat de la société en activité démontée.

Une revente en pièces détachées

Alstom Contracting reprend son nom d’origine, Cegelec, suite à sa revente auprès de ses salariés (2). Areva rachète l’activité de transmission et de distribution d’électricité à Alstom pour devenir Areva T&D. Siemens acquiert le parc de turbines industrielles. Alstom cède son chantier naval, Alstom Marine, au constructeur STX Europe (anciennement Aker Yards) et enfin, se sépare d’Alstom Power Conversion, devenue Covertream suite à son acquisition par la Barclays Bank et rachetée par la suite par le fameux General Electric, encore lui.

Pire encore, cherchant a racheter son activité transmission et distribution cédée à Areva (T&D) quelques années plus tôt, Alstom se retrouve confronté aux réalités des prix du marché industriels. D’un montant trop élevé pour l’ensemble T&D, Alstom acquerra uniquement la branche transmission, et ce, à un coût plus élevé que lorsqu’elle l’avait revendue à Areva. Les transmissions deviennent Alstom Grid. La branche distribution sera, elle, récupérée par Schneider Electric.

2014, l’année du rachat

Frappé par la crise financière et la baisse des commandes sur son cahier de charges, marqué par la perte des contrats d’Abou Dabi au profit du coréen Kepco, puis de la construction du TGV en Arabie Saoudite, condamné par la juridiction française dans le cadre de l’affaire de l’Amiante sur son site d’origine de Belfort, puis par la Commission européenne à verser 750 millions d’euros pour entente illégale sur les appareillages de commutation à isolation gazeuse, le groupe voit son chiffre d’affaires fluctuer dangereusement.

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Sources : MSI 20000
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Sources : MSI 20000

Dans le même temps, les premières rumeurs de son rachat apparaissent. Il est fait état d’une association entre les groupes japonais Mitsubishi Heavy Industry et la compagnie allemande, Siemens. Ils proposent un simple rachat de la branche énergie du groupe pour un montant d’une valeur de 12,35 milliards d’euros. Pour répondre aux exigences des pouvoirs publics qui souhaitent voir un partenariat se créer plutôt qu’une absorption du groupe Alstom, ils présentent un schéma de coopération d’entreprises.

Attirait par ce projet, le groupe General Electric y voit la possibilité d’asseoir sa domination mondiale en créant le plus grand groupe industriel international. Fort d’une histoire commune avec le groupe français, le projet de General Electric remporte l’adhésion et le soutien du conseil d’administration d’Alstom, au premier rang duquel, Patrick Korn, PDG d’Alstom.

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Entretenant le suspense, Arnaud Montebourg, Ministre de l’Économie et des Finances annonce la fin du feuilleton Alstom après d’âpres négociations dans la nuit du 21 au 22 juin 2014.

Quel accord ?

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En terme de garantie, « le gouvernement a pris la décision d’entrer à hauteur de 20 % du capital d’Alstom et d’en devenir le principal actionnaire ». Il négocie alors avec le groupe Bouygues, titulaire de 29,4 % des parts de la société française. L’accord est tombé autour de 1, 7 milliards d’euros de titres de participation.

De son côté, General Electric s’engage à créer 1000 emplois en France dans les trois années à venir. Si cette condition n’est pas remplie, l’entreprise sera frappée de sanctions financières pour non-respect de ses engagements sociaux. Il est aussi stipulé que les sièges des industries nucléaires, vapeurs, énergies renouvelables et réseaux devront rester basés en France. A cela s’ajoute que le directeur général qui sera placé à la tête de l’activité vapeur du groupe, devra être français.

Au niveau industriel, la branche énergie, rachetée partiellement par General Electric à hauteur de 7, 3 milliards d’euros, comprend la totalité du parc des turbines à gaz et à vapeurs, la totalité du parc à énergie renouvelable (éoliennes, etc. ), la moitié du parc des turbines à vapeur nucléaires en France, la totalité du parc des turbines à vapeur nucléaires mondial (hors France). Cela implique que l’activité nucléaire d’Asltom, en France, restera sous contrôle de l’État grâce notamment à un droit de veto sur les décisions concernant cette activité nucléaire et à la sauvegarde des brevets du nucléaire placés sous la responsabilité d’une entreprise détenue par l’État français.

Stratégiquement, le groupe se sépare de son activité de signalisation. Sa revente estimée à 370 millions d’euros viendra renforcer son activité de transport qui représente, elle, 5,9 milliards d’euros de chiffre d’affaires afin « d’accroître la mobilité stratégique » du groupe selon Patrick Kron.

Évidemment, General Electric sera maître décisionnaire sur les activités du groupe Alstom, la société américaine met la main sur tout le réseau de communication énergétique, seul le secteur du nucléaire restera autonome, les activités vapeurs, énergie renouvelable et réseaux deviennent totalement dépendantes du propriétaire de l’activité de turbines à gaz.

S’il est intéressant de voir qu’une entreprise américaine s’est pliée aux exigences du gouvernement français, ultra-protectionniste en la matière, l’acquisition par la société américaine General Electric de la compagnie Astom était sans nul doute un mariage évident depuis sa création en 1928. Longtemps partenaire-ennemi sur le marché industriel de l’énergie, le futur General Electric – Alstom business group, devrait asseoir sa domination sur l’économie industrielle mondiale.

Thomas Alves-Chaintreau

(1) Qui n’est pas à confondre avec le groupe américain General Electric

(2) Sous la forme d’acquisition par emprunt (ou Leverage Management Buy-Out) rendue possible par la Cause des dépôts et consignations et grâce au soutien du fonds d’investissement Charterhouse Capital Partners. Cegelec a depuis été racheté par Vinci.

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